Les accusations portées contre Ericsson, accusé d’avoir indirectement financé des membres de l’Etat islamique, fragilisent le groupe.
Après le leader mondial des matériaux et des solutions de construction LafargueHolcim en 2017, c’est au tour du géant des télécommunications Ericsson d’être épinglé pour des actes de corruption en Irak en faveur, entre autres, de l’État islamique. Ces faits, qui se seraient déroulés entre 2011 et 2019, mettent à mal la réputation du groupe, déjà fragilisée par plusieurs atteintes sérieuses à l’éthique des affaires dans les années précédentes.
« Des dépenses inhabituelles » dans un terrain miné
Rendues publiques par plusieurs journalistes, dont les investigations sont encore en cours, ces accusations sont nées d’une enquête interne menée par la direction d’Ericsson. Les investigations avaient révélé, dès 2018, des demandes de remboursement pour des dépenses jugées très inhabituelles et difficilement justifiables entre 2011 et 2019. Ericsson n’avait, pour autant, pas jugé utile de dévoiler publiquement les conclusions de son enquête interne.
Le groupe affirme, par la voix de son PDG, Börje Ekholm, être pour le moment incapable d’« identifier l’implication directe d’un quelconque employé d’Ericsson dans le financement d’organisations terroristes » et ne pas avoir les moyens d’enquête pour « identifier les bénéficiaires finaux de ces paiements ». La direction de la multinationale reconnaît tout de même l’existence « (de) paiements effectués à des intermédiaires et l’utilisation d’axes de transport alternatifs pour contourner les douanes irakiennes, à une époque où des organisations terroristes, y compris l’État islamique en Irak et au Levant, contrôlaient certains axes de transport ». À l’annonce de ces accusations, les actionnaires ont immédiatement sanctionné le groupe coté à la bourse de Stockholm, dont le titre a dévissé de 11 % le mercredi 16 février, lui faisant perdre 3 milliards d’euros de capitalisation.
Un passif trouble
Les accusations sont d’autant plus sérieuses que le marché des télécommunications irakiens a, dans le passé, montré sa perméabilité à la corruption. Et que, même après la chute de l’État islamique, le pays demeure gangréné par les pratiques prédatrices, l’Irak n’obtenant en 2021 qu’un score de 23/100 à l’indice de perception de la corruption, l’un des plus bas à l’échelle internationale.
Le groupe Korek, l’un des poids lourds irakiens des télécoms, avec qui Ericsson a signé un partenariat stratégique en mars 2017 pour la refonte de son cœur de réseau IP dans le pays, a ainsi été au cœur d’une vaste affaire de corruption en 2014, dont fut victime le groupe français Orange. À l’époque, Orange avait investi dans Korek, en créant une joint-venture avec le koweitien Agility Public Warehousing. Mais en 2014, le CMC, l’autorité de régulation des télécommunications irakiennes, choisit de rompre le contrat et Orange finit par se heurter à la justice irakienne, qui leur refuse toute forme d’indemnisation. Les participations d’Orange et de Korek retournent alors directement dans les mains des autres actionnaires. « Orange s’est clairement fait exproprier, il n’y a pas d’autres mots. L’Irak n’est pas un pays de droit, et il y a une part de géopolitique », expliquait en mai 2019 un fin connaisseur du secteur dans la région au journal Les Échos. Selon une enquête menée en novembre 2018 par le très sérieux Financial Times, au moins un investisseur majeur du groupe Korek aurait fourni, en 2014, une maison dans un quartier chic de Londres au directeur de la CMC, ainsi que des sommes d’argent dont le montant demeure inconnu.
En termes de corruption, le géant suédois reste un habitué des scandales. En 2019, Ericsson avait été condamné à un milliard de dollars d’amende à la justice américaine pour, là encore, des faits avérés de corruption dans plusieurs pays, dont la Chine ou encore Djibouti et le Vietnam. À l’époque, des caisses noires avaient été utilisées pour des cadres locaux du groupe pour soudoyer des décideurs politiques et des hauts fonctionnaires. Le groupe s’était alors engagé à prendre des mesures sérieuses dans la lutte anticorruption, que viennent mettre à mal ces nouvelles révélations.
La crainte d’une nouvelle sanction financière
Pour le groupe suédois, cette nouvelle crise pourrait avoir des conséquences dommageables. Ericsson jouit en effet d’une santé économique excellente, profitant de l’avènement international de la 5G et de la mauvaise passe de son concurrent direct Huawei, durablement fragilisé par les sanctions américaines pour ses liens supposés avec le Parti communiste chinois et en difficulté pour accéder aux marchés occidentaux. Autre facteur de croissance pour Ericsson, les difficultés de son concurrent finlandais Nokia, en partie écarté du marché pour ses sérieux retards sur les technologies 5G.
Après le milliard de dollars de sanction infligé par la justice américaine, une nouvelle amende pourrait durablement fragiliser la trésorerie du groupe, estimée à 4,2 milliards de dollars, mais qui doit supporter une politique d’acquisitions à marche forcée, comme celle du fournisseur américain d’API de communications Vonage, annoncée fin 2021.
