Le pays, ravagé par la guerre, est devenu un terrain d’essai pour les tactiques que la Russie peut désormais utiliser en Ukraine.
Depuis une tente située dans la poche de Syrie tenue par les rebelles, Ahmad Rakan a suivi de près les nouvelles de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Il y a plus de deux ans, une frappe aérienne russe a détruit sa maison dans un village voisin, au cours d’une offensive de plusieurs mois du gouvernement syrien, soutenue par la puissance de feu de Moscou, qui l’a chassé de chez lui, ainsi que des dizaines de milliers d’autres personnes.
« Plus que quiconque, nous ressentons leur douleur », a-t-il déclaré à propos des civils ukrainiens actuellement soumis aux bombardements russes. Au cours des sept dernières années, des Syriens comme Rakan ont fait l’expérience directe de la puissance militaire de la Russie, qui a frappé les bastions de l’opposition, négocié des accords de reddition massive et déployé une police militaire dans tout le pays, le transformant pratiquement en un protectorat russe sur la Méditerranée.
Selon les observateurs, l’intervention militaire de la Russie en Syrie et l’impunité dont elle a bénéficié ont enhardi Vladimir Poutine. Ils affirment qu’elle lui a donné un nouveau point d’appui au Moyen-Orient, d’où il peut affirmer la puissance russe à l’échelle mondiale, et qu’elle a ouvert la voie à son attaque contre l’Ukraine. « Il ne fait aucun doute que l’intervention russe en Ukraine est une accumulation d’une série d’interventions militaires russes en Géorgie en 2008, en Crimée en 2014 et en Syrie en 2015 », a déclaré Ibrahim Hamidi, journaliste syrien au journal Asharq Al-Awsat basé à Londres.
La décision de Moscou en 2015 de se joindre à la guerre en Syrie était sa première action militaire en dehors de l’ancienne Union soviétique depuis son effondrement. Elle a sauvé le gouvernement du président Bachar al-Assad et renversé le cours de la guerre en sa faveur, permettant au dirigeant syrien de réaffirmer brutalement son contrôle sur une grande partie de la Syrie. Les frappes aériennes russes ont souvent touché sans discernement des hôpitaux, des écoles et des marchés.
Habileté diplomatique
Le pays ravagé par la guerre est devenu un terrain d’essai pour les armes et les tactiques russes, que la Russie peut désormais utiliser en Ukraine, estime l’agence américaine Associated Press (AP). Selon Anna Borshchevskaya, chargée de recherche au Washington Institute, qui s’intéresse à la politique russe au Moyen-Orient, la Russie a déployé en Syrie une approche « multi-domaines », comprenant des armes de précision à longue portée et des campagnes de bombardement à grande échelle, ainsi que la cyber-guerre, la désinformation et le recours à des forces paramilitaires.
Le déploiement de sa puissance aérienne « en est venu à définir l’évolution du mode de guerre de la Russie et la Syrie a été une illustration particulièrement importante de cette évolution », a-t-elle déclaré.
Moscou a également fait preuve d’une grande habileté diplomatique en Syrie, en concluant avec l’Occident des accords qui l’obligent à accepter implicitement son intervention. Elle a créé des patrouilles conjointes avec la Turquie, membre de l’OTAN qui soutient les rebelles syriens, afin de faire respecter les trêves dans certaines régions. Elle a conclu avec Israël des accords permettant à ce dernier de mener des frappes aériennes contre des cibles liées à l’Iran en Syrie. Elle a mis en place une ligne de « déconfliction » avec les États-Unis pour éviter les mésaventures entre les avions américains et russes volant dans le ciel syrien.
Dans le même temps, elle a cherché à défendre Al-Assad sur la scène internationale, en rejetant comme une invention l’utilisation par le président syrien d’armes chimiques et de bombes à barils contre les civils. En Syrie, également, la Russie a fait parler le « soft power ». Dans certaines régions, des festivals ont été organisés pour populariser la culture russe, des chansons nationales russes ont été diffusées à la télévision syrienne, de la propagande intéressée a été diffusée et des repas chauds ont été servis aux civils. Tout ceci, sans le dire bien évidemment, afin d’étendre sa sphère d’influence à la Syrie.
Crédits photo : Des photos sur porcelaine décorées des images du président russe Vladimir Poutine et du président syrien Bachar al-Assad sont exposées dans un magasin de souvenirs à Damas, en Syrie, le 18 avril 2016 (AP Photo/Hassan Ammar).