La France invitée à « choisir son camp dans la guerre au Yémen »

Paris a de nouveau été pointée du doigt par des ONG, la semaine dernière, pour ses ventes d’armes à l’Arabie saoudite.

« La mort d’un homme est une tragédie. La mort d’un million une statistique ». Cette phrase de Staline, aussi fameuse que glaçante, n’aurait jamais pu sortir de la bouche d’Emmanuel Macron. Du moins le pense-t-on. Pourtant, plus les jours passent, et plus le chef de l’Etat français donne l’impression de respecter en tout point l’esprit de cet aphorisme. Comment interpréter, sinon, son entêtement à vouloir maintenir ses ventes d’armes à l’Arabie saoudite et aux Emirats arabes unis (EAU), ce matériel qui participe à la « pire crise humanitaire du monde » au Yémen, selon l’expression des Nations unies ?

Posture cynique

En guise de statistique, les dizaines de milliers de Yéménites tués par le conflit entre la coalition saoudienne et les rebelles Houthis, qui vient tout juste de pénétrer dans sa 5ème année. Quant à la tragédie, point de mort d’homme ; celle d’une idée plutôt, ardemment défendue par Emmanuel Macron : l’Europe de la défense. Deux facteurs qui n’ont a priori pas grand chose à voir (euphémisme), mais que le locataire de l’Elysée prend en compte de manière égale. Et encore, pas tout à fait, puisque ce dernier semble plus attaché à faire vivre son projet européen plutôt que prendre la défense du peuple yéménite.

La semaine dernière, le ton est de nouveau monté entre Paris et Berlin, après que celle-ci a décidé de prolonger jusqu’au 30 septembre prochain l’interdiction d’exporter des armes vers l’Arabie saoudite. Un acte plus que symbolique, pris par l’Allemagne au lendemain du meurtre du journaliste Jamal Khashoggi, le 2 octobre 2018, dont tout laisse à penser qu’il fut orchestré par le prince héritier saoudien. De son côté, Emmanuel Macron avait estimé qu’il s’agissait là de « pure démagogie »… Une posture on ne peut plus cynique, que la diplomatie française a eu l’occasion de rappeler, après l’annonce de Berlin, jeudi dernier.

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Ainsi, pour l’ambassadrice de France en Allemagne, Anne-Marie Descôtes« la question des exportations d’armements est souvent traitée en Allemagne avant tout comme un sujet de politique intérieure – mais elle a des conséquences lourdes pour notre coopération de défense bilatérale et pour la construction de la souveraineté européenne ». En l’occurence, le refus allemand de vendre non seulement des armes, mais également le moindre élément made in Germany qui puisse se retrouver dans du matériel militaire, menace l’Europe de la défense, toujours selon l’ambassadrice de France à Berlin.

« Appel des citoyens »

S’il est un brin réducteur de ranger l’hexagone du côté des mauvais élèves et l’Allemagne chez les bons, la tentation reste grande. Car des armes tricolores vendues à Riyad et à Abou Dabi se sont bien retrouvées sur le sol yéménite. Et ont donc participé aux exactions commises de toute part, depuis 4 ans, qui ont plongé plus de 20 millions de personnes dans un état de dépendance humanitaire alarmant. Malgré tout, la France continue de faire la sourde oreille. Plaçant son Europe de la défense – et son portefeuille, les contrats avec Riyad ayant rapporté plus de 11 milliards d’euros entre 2008 et 2017 – au-dessus des vies yéménites.

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« A sa décharge » – l’expression n’a qu’une fonction rhétorique, la France ne pouvant avoir d’excuses dans l’affaire -, Paris et Berlin se sont mises d’accord, en janvier dernier, pour lancer des projets industriels communs ambitieux, dans le domaine de l’aviation militaire notamment. Ce que des ONG ont vivement dénoncé, en projetant dans la nuit de mercredi à jeudi, sur les colonnes de l’Assemblée nationale : « En France, la vente d’armes rapporte gros. Au Yémen, elle coûte cher. » Une invitation pour Paris « à choisir son camp dans la guerre au Yémen », selon Fanny Petitbon, responsable plaidoyer chez Care France.

Le député (LREM) Sébastien Nadot milite pour un contrôle démocratique des ventes d'armes

« A l’heure actuelle, la France alimente le conflit au Yémen et enfreint ses engagements internationaux. Les parlementaires ne peuvent pas ignorer l’appel des citoyens : 70 % des Français sont favorables à un contrôle parlementaire systématique des exportations d’armes françaises », estime-t-elle. En mars 2018, un sondage réalisé pour l’ONG SumOfUs donnait plus ou moins le même chiffre (75 %). Problème, les ventes d’armes appartenant au « domaine réservé » du chef de l’Etat, impossible d’y jeter un œil – tout démocratique fût-il. Une situation qui arrange bien Emmanuel Macron et son Europe de la défense…

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