Candidat à l’élection présidentielle libyenne, Mohamed Shawesh souhaite moderniser le pays et bousculer une classe politique corrompue et vieillissante. Il donne, au Monde arabe, sa vision de la Libye moderne.
Mohamed Shawesh – Vous êtes un jeune entrepreneur de 35 ans, spécialisé dans la joaillerie. Qu’est-ce qui vous mène à vous engager aujourd’hui dans une difficile carrière politique en Libye, surtout pour tenter de conquérir la plus haute fonction politique du pays ?
J’ai la chance d’avoir travaillé dans tout un ensemble de secteurs variés, comme la technologie, les villes intelligentes, la banque numérique, le commerce électronique, la construction, la gestion des risques, la gestion de crise, l’architecture de la capacité de résilience ou encore les infrastructures innovantes. J’ai pleinement conscience que tous ces domaines, à leur échelle, constitueront demain des enjeux clés pour la transformation du monde en général, et de la Libye en particulier. C’est cette expérience et la conscience de l’importance de ces enjeux que je souhaite apporter en me présentant à l’élection présidentielle libyenne.
J’ai face à moi une élite politique vieillissante incapable de répondre aux défis et aux risques émergents. Face à eux, seuls les mouvements politiques indépendants ont les idées et les projets pour répondre aux besoins fondamentaux des Libyens, qui aspirent à une meilleure qualité de vie, une éducation et une médecine plus accessible et la sécurité individuelle sous toutes ses formes.
Pour nous, l’objectif de cette élection est de renverser la situation actuelle et de garantir aux populations le respect de leurs besoins vitaux et de leur assurer les droits humains fondamentaux. Si je veux remporter cette élection présidentielle, c’est avant tout pour relancer, structurer, moderniser et rendre opérationnelle l’économie libyenne, ce qui sera le préalable à une amélioration globale de la qualité de vie des Libyens. A nous d’unir désormais les différentes forces de notre pays, les rassembler toutes pour un avenir meilleur.
Mohamed Shawesh – Comment votre expérience va vous aider ?
Je me fais une très haute idée du leadership entrepreneurial, que je perçois comme un vecteur de transformations dont tous les pays ont besoin, pas seulement la Libye. Je crois à la capacité des entrepreneurs à façonner le monde et à adopter un esprit critique qui permet d’analyser les besoins fondamentaux des individus pour leur apporter des solutions viables. Il ne faut pas craindre de dire que priver le monde de l’esprit d’entreprise, c’est le conduire tout droit à la stagnation, voire au déclin socio-économique. Cette vision, je souhaite la diffuser aux Libyens.
Dans le si particulier contexte politique libyen, nous avons besoin d’un esprit d’entreprise réformateur, qui peut à la fois unir des personnes et des mentalités différentes au sein d’un même pays, les faire travailler ensemble pour un intérêt commun, tout en libérant leur énergie créative. En bref, nous devons saisir les opportunités qu’offrent ce pays et les transformer en quelque chose de bien meilleur.
Mohamed Shawesh – La tentative avortée de prise du pouvoir du 17 mai par Fathi Bachagha, chef du gouvernement libyen investi par le Parlement en mars dernier, montre qu’une partie des élites politiques se refuse à tout abandon du pouvoir. Comment espérez-vous bousculer la vie politique d’un pays dominé par une élite politique et économique très largement corrompue et qui fera tout pour rester accrochée au pouvoir ?
Historiquement, la Libye a tenté de résoudre ses problèmes intérieurs en mobilisant des solutions extérieures au pays. De même, la faiblesse de l’État a toujours été un facteur d’ingérences extérieures. Nous devons pourtant aspirer à réparer la Libye de l’intérieur, en nous appuyant sur les forces vives du pays. Cela commence évidemment en faisant de la lutte contre la corruption endémique l’une de nos priorités d’une part, mais aussi en garantissant l’État de droit et la protection des frontières d’autre part. Il ne faut pas non plus tomber dans le piège de l’isolationnisme. Nous ne parviendrons à répondre aux grands enjeux de la Libye qu’en collaborant avec des partenaires internationaux pour relever des défis tels que la sécurité nationale, l’immigration, le changement climatique et la crise énergétique mondiale.
Les politiciens actuels s’accrochent tous au pouvoir ou essaient d’y accéder car ils craignent que les oppositions menacent une rente politique qu’ils tentent soigneusement de conserver. Face à la violence politique qui règne dans le pays, je crois à la culture du dialogue apaisé. En créant une culture de la collaboration et de la coopération où tous les points de vue sont respectés et pris en compte, mais débattus afin de rechercher le meilleur pour la Libye, les tensions vont naturellement diminuer. Non seulement dans le pays, mais aussi avec nos partenaires internationaux, avec qui nous devons forger une relation d’égalité et de respect mutuel.
Mohamed Shawesh – La Libye est aujourd’hui une terre de divisions. Le pays est fragmenté entre les forces du Maréchal Haftar, celles du gouvernement de Tripoli, différents groupes tribaux. Le pays est aussi soumis à de multiples pressions étrangères, notamment turques et russes. Quelles sont, selon vous, les approches à privilégier pour réunir et stabiliser la Libye et surtout lui rendre son indépendance ?
Ce que les citoyens libyens ont en commun est bien plus important que ce qui les sépare. Tous les citoyens libyens veulent un avenir meilleur pour leur pays, et je sais que nous pouvons y parvenir. Recréer l’unité, sans laquelle il ne peut pas y avoir de prospérité, est ainsi un objectif prioritaire. L’unité devra également être extérieure, à mesure que nous reconstruisons les alliances, la confiance et le respect avec nos partenaires internationaux.
Les Libyens ont besoin de voir de l’espoir et c’est ce que nous leur montrerons, un chemin vers l’espoir auquel tous seront invités à condition d’adhérer à un ensemble de valeurs, comme la lutte contre la corruption, la tolérance zéro pour les atteintes à l’État de droit et le rejet de l’injustice et de l’inégalité. En réparant notre nation de l’intérieur et en prenant des mesures rapides, le risque externe d’ingérence internationale s’estompera lentement mais sûrement.
Mohamed Shawesh – L’économie libyenne reste encore fortement arrimée au pétrole, qui compose la quasi-totalité de ses exportations. Comment souhaiter vous contribuer à diversifier l’économie du pays ?
Il est évident que la crise environnementale mondiale est réelle et qu’elle nous touchera tous si nous n’agissons pas maintenant. La Libye, en tant que pays exportateur de pétrole, a une occasion unique de montrer la voie en matière de production d’énergie propre, non seulement pour la Libye, mais aussi pour le monde entier. La Libye, qui est d’ailleurs signataire de l’Accord de Paris sur le climat, doit naturellement se joindre aux autres pays pour ouvrir la voie dans la lutte mondiale contre le changement climatique.
En soutenant un changement de paradigme qui s’éloigne des combustibles fossiles et s’oriente vers l’exploitation des ressources naturelles des déserts, l’économie va exploser, des emplois seront créés, et la Libye montrera à tous comment cela peut être réalisé. Il faut, là encore, faire confiance à l’esprit d’entreprise pour développer des technologies vertes et propres et contribuer au développement des STEM (NDLR. Science, Technology, Engineering and Mathematics). Cette nécessité appelle à solidifier notre système éducatif et universitaire pour faire émerger les ressources humaines nécessaires à cette transition vers une économie plus durable, plus moderne et plus économique.
Mohamed Shawesh – A terme, votre objectif est de faire de la Libye un « hub » technologique en Afrique. Quelle est votre vision du pays d’ici 2050 par exemple ?
En 2050, mon souhait le plus cher est que la Libye soit perçue dans le monde comme l’exemple d’une transformation réussie d’un pays en ruine vers une nation solide, capable de répondre aux besoins de ses populations, mais aussi positionnée sur les vecteurs de développement les plus porteurs, comme les sciences, les technologies, l’ingénierie et les mathématiques, seuls préalables à l’émergence de progrès spectaculaires dans l’innovation et les technologies propres. Je souhaite aussi qu’elle soit considérée comme une nation empathique qui se préoccupe non seulement de sa population, mais encore de ses voisins et de toutes les nations de la planète.
De nouvelles villes et infrastructures intelligentes verront le jour et offriront de nouvelles opportunités d’emploi dans le domaine de l’innovation. Un nouveau système de transport reliera l’Ouest, le Sud et l’Est pour permettre aux flux de marchandises et de personnes de connaître une véritable harmonisation, intégration et unification des cultures libyennes et de ses habitants. Ce ne sera pas seulement l’occasion de rassembler les villes disparates de Libye, mais grâce aux liaisons intercontinentales, l’ensemble de l’Afrique, de l’Asie et de l’Europe sera enfin interconnecté car, dans notre monde actuel, l’intégration est la clé.
