Au moins 7 personnes sont mortes, hier au Soudan, lors de manifestations appelant à la fin du pouvoir militaire.
Signes de la victoire du bout des doigts, drapeaux soudanais flottant au-dessus des têtes, « Pouvoir civil ! Pouvoir civil ! » scandé par des milliers d’individus. Dimanche 30 juin, les habitants de Khartoum, la capitale du Soudan, notamment, sont descendus en masse dans les rues, à l’appel de l’Alliance pour la liberté et le changement (ALC), tête de proue de la contestation. Comme depuis avril dernier, ils réclamaient le transfert du pouvoir, actuellement détenu par les militaires, au peuple. Ceci, 30 ans jour pour jour après le coup d’Etat d’Omar al-Bachir, en 1989.
« Nous voulons un Etat civil »
« Nous appelons notre peuple révolutionnaire dans la capitale à se diriger vers le palais républicain […] pour demander que la justice soit rendue aux martyrs et que le pouvoir soit immédiatement cédé aux civils, sans conditions », avait tweeté dans l’après-midi l’Association des professionnels soudanais (APS), à l’origine des vagues inédites de manifestations qui émaillent le Soudan depuis décembre 2018.
« Nous sommes ici pour les martyrs du sit-in. Nous voulons un Etat civil qui garantisse notre liberté. Nous voulons en finir avec la dictature militaire », a déclaré dimanche 30 juin un manifestant, Zeinab, 23 ans, cité par le quotidien français Le Monde.
A l’époque, le gouvernement, encore dirigé par Omar al-Bachir, avait suscité la colère des Soudanais en triplant le prix du pain (notamment). La contestation s’était ensuite rapidement dirigée vers le pouvoir en place et avait appelé à la chute du « président-dictateur » aux affaires depuis près de 30 ans. Destitution qui interviendra le 11 avril, date à laquelle le Conseil militaire de transition (TMC) prendra également les rênes du Soudan – pour ne plus les lâcher.
« Le monde observe »
Quelques heures avant les manifestations de dimanche, certains pays ainsi que quelques ONG ont appelé l’armée à ne pas faire usage de violence et ne pas répéter la répression sanglante du 3 juin dernier. Où près de 130 personnes avaient trouvé la mort lors de la dispersion du sit-in organisé devant les locaux de l’armée à Khartoum. L’événement avait sévèrement freiné les ardeurs démocratiques de certains Soudanais. A cause, notamment, des méthodes assez ignominieuses des Forces de soutien rapide (RSF) et de leur chef, le général Mohammed Hamdane Daglo « Hemetti ».
Les manifestations d’hier devaient ainsi mesurer l’esprit de résilience des Soudanais, potentiellement gagnés par la peur. Mais également la capacité de ceux qui tiennent le pays à ne pas sombrer dans l’excès répressif. Si la présence de plusieurs dizaines de milliers de personnes dans les rues soudanaises indique que les premiers n’ont pas renoncé à leurs aspirations démocratiques, les forces de police ont fait au moins 7 morts et plusieurs dizaines de blessés, selon les premiers bilans dimanche soir. « Le Conseil militaire ne doit pas laisser le pays glisser vers plus de répression. Le monde observe », avait averti Amnesty International ce week-end. En vain.
« Charpente militaro-sécuritaire »
« Malgré des mois de protestations pacifiques, l’aspiration du peuple soudanais à une transition dirigée par des civils reste insatisfaite. Leur droit de manifester pacifiquement et d’exprimer leurs opinions le 30 juin, ou à toute autre date, demeure essentiel », avait de son côté estimé Maja Kocijancic, la porte-parole de la diplomatie européenne, avant les manifestations de dimanche. « Il est du devoir du Conseil militaire de transition d’assurer la sécurité de tous au Soudan et de s’abstenir de tout recours à la violence contre les manifestants ».
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Pour la quasi totalité des observateurs internationaux, la question est désormais entendue : le pouvoir doit revenir aux Soudanais. De manière exclusive ou, éventuellement, avec un moindre droit de regard du pouvoir militaire – pour un temps. En attendant, le risque est grand de voir perpétuée l’emprise de l’armée sur le pays. « Le Soudan [appartient] comme l’Egypte à la catégorie des régimes à charpente militaro-sécuritaire. Et, comme en Egypte, les militaires ont fini par tenter d’apaiser la population révoltée en sacrifiant le président », expliquait Gilbert Achcar dans Le Monde diplomatique de juin 2019 (pp. 6 et 7). Sauf que les Soudanais aspirent désormais à autre chose.
Mis à jour lundi 1er juillet à 12h00
