De journaliste à réfugié, de Kaboul à Doha : le parcours tragique d’Akbar Shinwari

Le journaliste, qui a collaboré avec plusieurs médias occidentaux, a dû fuir son pays du jour au lendemain, dans le chaos.

Akbar Shinwari a été le correspondant de Fox News, ITV News et ABC, pendant des années en Afghanistan. Comme nombre de ses collègues ayant travaillé avec les médias occidentaux, il a dû fuir le pays du jour au lendemain avec une partie de sa famille, dans l’urgence et le chaos. Installé depuis quelques jours dans une résidence à Aïn Khaled, en banlieue de Doha – au départ destinée à la Coupe du Monde 2022 et provisoirement transformée en centre d’accueil -, Akbar Shinwari oscille désormais entre désarroi et inquiétude. Mais soulagement aussi. Le soulagement d’avoir pu bénéficier des vols de l’armée qatarie pour mettre à l’abri sa femme, ses trois filles et ses deux garçons, de la furie qui s’est emparée de son pays. Grâce au soutien des rédactions pour lesquelles il travaillait, à celui des Américains et des Qataris, il été mis sur des listes spéciales et contacté rapidement par l’ambassadeur du Qatar à Kaboul, qui tente d’exfiltrer un maximum de collaborateurs des Occidentaux depuis l’effondrement de la capitale. Originaire de Kaboul, ayant couvert la situation dans son pays depuis les événements du 11 septembre 2001, Akbar Shinwari ne s’imaginait pas devoir commémorer ce tragique attentat loin de chez lui. Et pourtant, il se trouve désormais à 2h30 d’avion de Kaboul. Des villas flambant neuves, une piscine, des activités et des jeux pour les enfants : on est loin de ce que certains pourraient imaginer en pensant immédiatement à un complexe pour réfugiés.

Le Qatar s’est impliqué, avec l’accord des Américains et des Nations Unies, dans ce qui est désormais le plus grand pont aérien de l’histoire contemporaine. A l’aide de ses 8 C-17, l’armée qatarie, ainsi que des avions civils, se relaient nuit et jours depuis des jours pour sauver des milliers d’Afghans d’un funeste destin. L’Émirat fournit aux arrivants à Doha des tests PCR, un accès à la quarantaine, aux établissements de santé et à la vaccination, afin de protéger leur santé et la santé publique de l’ensemble de la population. Les réfugiés se trouvent à l’heure actuelle sur la base militaire d’Al-Oudeid ou dans des complexes ou des hôtels à Doha, avant d’être transférés vers leur destination finale. Plus de 500 Afghans évacués ont été placés dans des logements temporaires dans trois de ces complexes qataris, avec des familles et des étudiants placés dans des villas individuelles. Des activités quotidiennes ont été organisées pour les enfants du complexe, comme celui où se trouve Akbar, y compris du football, des arts et de l’artisanat. Certains réfugiés pourront même postuler à un emploi et à la résidence au Qatar conformément aux règles et réglementations qataries normales. Doha a d’ailleurs convenu avec les États-Unis d’accueillir temporairement 8 000 ressortissants afghans tandis que les Émirats arabes unis et le Koweït en accueilleraient 5 000.

Pour cela, Akbar est reconnaissant envers le Qatar, mais il l’est aussi au nom de sa famille, pour tous ceux qui sont une fois encore venus en aide aux Afghans, malgré les tristes cycles répétitifs de l’histoire sombre de son pays. Il a eu la chance d’être parmi les premiers à pouvoir partir et il remercie Dieu. Il sait que tout le monde n’aura pas la même chance. Depuis longtemps, sa femme qui avait peur pour lui, lui demandait de renoncer à son métier. Cette fois-ci, le journalisme les a probablement sauvé. Depuis qu’il sont arrivés, de la nourriture leur est fournie quotidiennement, des vêtements, des jouets pour les petits. Un réseau de solidarité de l’exil forcé se met en place au sein de la résidence, et Akbar fait bénéficier tous ses voisins d’une meilleure connexion internet que lui offre encore sa rédaction, pour que ces derniers puissent joindre leurs familles restées encore à Kaboul et garder un dernier lien avec le pays.

En attendant, il n’a de cesse de ressasser les dernières images qu’il a de la nuit du grand départ. Il s’en souviendra toute sa vie. Quelques heures encore avant, il couvrait les évènements pour Fox News mais la situation devenait de plus en plus périlleuse autour de l’aéroport de la capitale : « Ma femme préparait le repas et les enfants étaient à la maison, quand on nous a appelé pour nous demander de nous rendre le plus vite possible à l’aéroport. J’ai dû choisir où nous irions et j’ai opté pour le Qatar. », précise-t-il. Avant de continuer : « Vingt-quatre heures après, on était tous à l’hôtel Serena. Il a fallu encore attendre trois ou quatre heures mais au moins nous étions tous ensemble. A minuit, j’ai pris peur. On a tapé violemment à la porte. C’était deux Talibans. ». Le journaliste poursuit : « Ils venaient me demander si je travaillais toujours pour un média américain et je ne savais quoi répondre. Je leur ai juste répondu que je n’avais jamais travaillé pour les militaires. Je les connais bien. Déjà en 1996, on avait fui une première fois lors de leur prise de pouvoir et on s’était réfugiés à Peshawar au Pakistan. Je suis ensuite revenu au pays en 2001 pour couvrir les évènements que vous connaissez tristement. » Sa fille apporte alors un thé afghan et quelques pâtisseries.

Le père reprend : « Je n’ai jamais imaginé avoir à repartir de nouveau, en particulier pour mes enfants. Les Talibans sont repartis, puis on nous a escorté jusqu’à l’aéroport. Nous avons tous pris un sac. On n’avait pas droit à plus. J’ai pris quelques photos de mes petits avec les soldats qui nous sauvaient la vie. Mon fils sourit encore sur la photo (en nous tendant la photo). J’ai dû aider des personnes plus âgées à se déplacer et à rejoindre l’avion. Heureusement, l’avion était confortable pour eux. Moi j’ai passé mon temps à essayer d’aider, à prier, même si je n’avais pas dormi depuis 24 heures. Et les nuits précédentes avec l’actualité, étaient toutes sauf réparatrices. »  Pendant que les enfants jouent dans le séjour, la femme d’Akbar tente d’entrer en communication via WhatsApp, sur son téléphone, avec les membres de sa famille restée encore là-bas. « Ma femme a encore des proches, et moi j’attends ma mère. Elle sera peut-être dans le prochain avion. Demain ou après-demain, mais je ne suis pas sûr. Je prie pour que tout aille bien et qu’elle soit avec nous ici à Doha rapidement car elle n’est plus toute jeune la pauvre. Et elle en a vu des histoires tragiques dans ce pays ! ».

Lorsqu’on lui demande enfin ce qu’il souhaite pour ses enfants dans un avenir proche, il répond dignement, avec une note d’espoir dans la voix tout de même : « J’ai toujours voulu élever mes enfants dans notre pays. Je voulais continuer à servir l’Afghanistan et je voyais depuis des années, tous ces gens éduqués, de plus en plus diplômés, qui pouvaient être une chance pour la reconstruction de notre nation. Aujourd’hui tout s’est écroulé en quelques semaines. Mes enfants vont se former à l’étranger, c’est une certitude. Car on est pas prêt de rentrer au pays, et Daech sera pire que les Talibans. Une de mes filles veut être docteure, une autre ingénieure. Je sais qu’ils auront plus d’opportunités en Occident. Alors, ils étudieront, aux États-Unis ou en Grande-Bretagne. Inch’allah. Pour un jour, je l’espère, faire partie de ceux qui pourront rentrer en Afghanistan et participer une fois encore à sa reconstruction et contribuer à son avenir et à la paix ! Moi je serai sûrement déjà trop vieux d’ici là. Mais eux, c’est mon espoir, c’est notre espoir pour le futur ! ».

 

Crédits photo : Akbar Shinwari avec sa fille.

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