D’après l’institution financière internationale, la situation économique à Gaza « a atteint un point critique ».
L’heure n’est plus aux circonlocutions : la situation à Gaza est grave et doit inquiéter. Les enjeux et les vitupérations politiques masquent trop souvent le sort des près de deux millions d’habitants qui « vivent » dans cette bande de terre, soumise depuis dix ans au blocus d’Israël et de l’Egypte. Comme s’il fallait une nouvelle preuve pour nous en convaincre, la Banque mondiale vient de publier un rapport sur « la situation alarmante » du territoire palestinien, où « une personne sur deux vit dans la pauvreté et le taux de chômage […] dépasse 70 % » chez les jeunes. L’économie y est « en chute libre », peut-on lire, avec un recul de la croissance de 6 % au premier trimestre 2018, et « des signes de nouvelle détérioration depuis lors ». Selon Marina Wes, la directrice de la Banque mondiale pour la Cisjordanie et Gaza, c’est « une combinaison de guerre, d’isolement et de division interne [qui] a laissé Gaza dans un état économique paralysant et exacerbé la détresse humaine. »
Nouvelles mesures punitives
Destiné au comité de liaison ad hoc, principal mécanisme de coordination politique de l’aide destinée aux territoires palestiniens, le rapport pointe du doigt, dans un premier temps, le blocus mis en place en 2008, qui « a entraîné la désindustrialisation de l’économie de Gaza et l’érosion de sa productivité. » Le poids du secteur manufacturier dans le PIB, par exemple, est passé de 16 % en 1994 à 8 % aujourd’hui ; idem, la taille du secteur agricole a été divisée par deux, passant de 11 % à 5 % du PIB. Problème : « Le déclin rapide de ces secteurs productifs n’a pas été remplacé par la croissance des services à forte valeur ajoutée, qui aurait pu permettre à l’économie gazaouie d’exister au sein des marchés régionaux et mondiaux » note le rapport de la Banque mondiale. Qui précise également que la restriction à la circulation des personnes a aggravé « l’érosion du capital humain de Gaza », sans compter l’impact très lourd sur l’économie locale des « épisode de guerre multiples » – en 2008, 2012 et 2014.
« Le capital humain palestinien, avec sa population jeune et relativement instruite, pourrait être une source d’immense potentiel. Un accent renouvelé sur la création d’emplois sera extrêmement bénéfique en termes de développement économique. Le moment est venu pour tous les partis de se réunir et de créer un environnement qui crée des possibilités pour ces jeunes. » Marina Wes, la directrice de la Banque mondiale pour la Cisjordanie et Gaza
Autre facteur explicatif de cette « situation alarmante » : les « coupes sévères dans l’aide à la reconstruction et au développement provenant du budget de l’Autorité palestinienne » (AP). Depuis avril 2017, Ramallah réduit drastiquement les salaires dans la bande de Gaza – de 30 % en moyenne l’an dernier, suivi d’une diminution de 50 % -, supprime des milliers d’emplois – sur les 26 000 postes fermés, 22 000 se trouvaient à Gaza – et, en deux ans, son budget alloué au petit territoire palestinien a chuté de 125 millions de dollars à 96 millions de dollars. Résultat : « La pauvreté à Gaza représente aujourd’hui plus des deux tiers de la pauvreté en Palestine (71 % contre 57 % auparavant) » indique le rapport, alors que Mahmoud Abbas, le chef de l’AP, se montre de plus en plus dur avec les Gazaouis. Selon le journal Le Monde, il envisagerait, pour la mi-octobre, de nouvelles mesures punitives contre la population, si le processus de réconciliation entre son parti, le Fatah, et le Hamas – au pouvoir à Gaza – continuait de piétiner.
« Assurer le maintien des services essentiels »
Enfin, si elle n’est pas à l’origine de la situation actuelle à Gaza, la diminution de l’aide américaine à destination de l’AP n’arrange pas les choses. Et laisse entrevoir une aggravation de la santé économique du territoire – si jamais son sort pouvait être pire qu’aujourd’hui. « Etant donné la récente décision des Etats-Unis de réduire l’aide financière pour la Palestine, un nombre important de projets humanitaires et de développement ont été affectés, note ainsi le rapport de la Banque mondiale. Dans la bande de Gaza, tandis que le financement américain pour de tels projets était de 50 à 60 millions de dollars par an, il a quasiment disparu en 2018. » Fin août dernier, Washington avait effectivement annoncé que le gouvernement américain avait annulé plus de 200 millions de dollars d’aide à la Cisjordanie et à Gaza. Un choix motivé, selon un haut fonctionnaire du département d’Etat, par l’inextricable situation dans le petit territoire palestinien, « où le contrôle du Hamas met en danger la vie des citoyens »…
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Tous ces éléments réunis font que, selon Marina Wes, « la situation économique à Gaza […] s’est détériorée de façon exponentielle ces derniers mois et a atteint un point critique. » Afin d’y remédier, le rapport de la Banque mondiale souligne la nécessité d’une « approche équilibrée » de la situation, « qui combine une réponse immédiate à la crise et des mesures pour créer un environnement propice au développement durable. » Il faut en priorité « assurer le maintien des services essentiels, tels que l’énergie, l’eau, l’éducation et la santé », tout en augmentant le pouvoir d’achat des ménages pour doper l’économie. La Banque mondiale propose également que les autorités israéliennes soutiennent « un environnement propice à la croissance économique, en levant les restrictions au commerce et en permettant la circulation des biens et des personnes. » Un vœu pieux, Tel-Aviv étant plus encline, ces derniers temps, à la construction de nouveaux logements de colons qu’à la main tendue. Les Gazaouis, quant à eux, attendent le prochain rapport international qui enterrera leur économie. Et eux avec ?
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