« Force est de constater que le bilan sonne, trois ans plus tard, comme un échec total pour [la coalition saoudienne] ».
L’internationalisation du conflit au Yémen vient de « souffler » ses trois premières bougies. Et la question qui semble devoir être posée, aujourd’hui, est comment faire en sorte qu’il y en ait le moins possible à l’avenir. Car la situation, dans le pays le plus pauvre de la Péninsule arabique, semble inextricable. Pour des raisons certes internes – alors que l’Etat est en déliquescence quasi totale et voit son intégrité territoriale menacée au sud – mais également externes ; c’est à se demander si le Yémen, l’un des terrains de jeu favoris de l’Arabie saoudite et de l’Iran – qui luttent pour la suprématie de la région -, a encore son destin entre les mains.
Assistance humanitaire
D’un côté, Riyad, à la tête d’une coalition de pays arabes, épaule le gouvernement yéménite depuis mars 2015 en bombardant les rebelles houthistes ; ceux-là, d’obédience chiite, sont soutenus, de l’autre, par l’Iran, soupçonné de leur fournir du matériel militaire – entre autres – ; le Conseil de sécurité des Nations unies (ONU), enfin, a adopté la résolution 2216, juste avant l’entrée en guerre de la coalition saoudienne, afin de l’appuyer, mais semble avoir perdu tout contrôle de la situation. Malgré des appels à la désescalade du conflit – qui a fait, pour l’instant, 10 000 morts, 50 000 blessés et 2 millions de déplacés -, l’ONU piétine et ne trouve pas de solution.
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La preuve : en février dernier, elle nommait un troisième émissaire pour le pays en sept ans, après que le deuxième, le Mauritanien Ismaïl Ould Cheikh Ahmed, avait indiqué qu’il ne souhaitait pas poursuivre sa mission. Notamment en raison du manque de volonté, de la part des autorités yéménites et des rebelles Houthis, pour s’entendre sur la cessation des hostilités. A charge pour le Britannique Martin Griffiths, dès lors, de mettre fin au conflit et, surtout, de s’emparer de la situation humanitaire, jugée catastrophique par l’ensemble des observateurs. Plus de 22 millions de Yéménites sont effectivement dépendants d’une assistance humanitaire – et 8 millions souffrent de quasi famine.
Rôle indirect de la France
Depuis quelques semaines, le prince héritier saoudien, Mohamed ben Salman (« MBS »), véritable décideur en son royaume, est en voyage officiel aux Etats-Unis, où il multiplie les rencontres et sorties médiatiques pour égratigner l’Iran. Selon lui, si la situation yéménite s’enlise, c’est de la faute de la République islamique et, surtout, de ses désirs d’influence au Moyen-Orient. Un constat que ne partage pas Nabil Ennasri, docteur en sciences politiques et spécialiste de la région. Le conflit au Yémen est devenu, d’après lui, « un véritable Vietnam moderne pour Riyad et ses alliés » ; « force est de constater que le bilan sonne, trois ans plus tard, comme un échec total pour [la coalition saoudienne] » a-t-il estimé récemment.
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Au cours d’un colloque sur la situation au Yémen, organisé il y a quelques jours à Paris, le journaliste et cofondateur du site OrientXXI, Alain Gresh, s’est même demandé si Riyad ne faisait pas preuve d’amateurisme chez son voisin. Voire même si le royaume avait les caractéristiques d’un Etat moderne rationnel, étant donné la stratégie adoptée au Yémen, où la haine du géant iranien l’emporte sur toute autre logique. La rencontre a également permis de mettre en lumière le rôle indirect de la France dans la guerre au Yémen, celle-ci fournissant des armes aux Saoudiens. Et, incidemment, cette question : pour éviter que le conflit yéménite ne souffle d’autres bougies, ne faudrait-il pas commencer par arrêter de soutenir aveuglément ses acteurs ?
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