Peut-être est-il temps de reconnaître que la sacrosainte « solution politique » ne peut, en l’état, fonctionner.
Les al-Kawlak, une famille sur quatre générations vivant côte à côte dans le centre-ville de Gaza, n’étaient absolument pas préparés à cet enfer, nous raconte d’emblée l’agence américaine Associated Press (AP). Comme d’autres, ils ont été terrifiés par les violents bombardements de la quatrième guerre entre Israël et les dirigeants du Hamas, le mouvement islamiste qui contrôle la bande de Gaza, qui a débuté le 10 mai. Les explosions semblaient plus puissantes que lors des combats précédents. Et la nuit, parents et enfants dormaient dans une seule pièce pour vivre ou mourir ensemble.
Depuis les locaux de l’AFP, où elle s’est installée après que l’armée israélienne a bombardé les bureaux dans lesquels elle se trouvait, avec la chaîne qatarie Al-Jazeera – Tsahal visait des membres du Hamas, retranchés dans les mêmes locaux -, AP tente d’alerter sur le sort de ces « civils endeuillés de Gaza », qui craignent que justice ne leur soit jamais rendue. Des journalistes poursuivent :
« Pourtant, le quartier relativement aisé de Rimal, où la famille al-Kawlak vivait dans un ensemble d’immeubles, semblait un peu plus sûr que les zones situées le long de la frontière entre Gaza et Israël, dévastées lors des combats actuels et précédents. » Et, une nuit, « le désastre a frappé », ajoute AP. Un « coup de tonnerre » a secoué l’appartement de la famille, dont les enfants étaient allés se coucher. Puis un deuxième. Un autre. « Le plancher s’est fissuré sous nos pieds et les meubles ont été projetés contre le mur », témoigne Azzam al-Kawlak, le père de famille de 42 ans.
Le bâtiment de quatre étages s’est effondré. L’appartement de la famille n’a pas résisté. « La famille s’est échappée par le balcon de la cuisine, maintenant située presque au niveau du sol. Bizarrement, le linge suspendu à une corde à linge semble intact », précise AP, comme pour souligner le surréalisme de la situation. A la tombée de la nuit, la famille avait perdu 22 de ses membres, dont Amin, 89 ans, le patriarche, son fils Fawaz, 62 ans, son petit-fils Sameh, 28 ans, et son arrière-petit-fils, Qusai, 6 mois.
Première dent
Le 27 mai, le Conseil des droits de l’Homme des Nations unies a créé une commission d’enquête internationale pour débusquer toute violation commise dans le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, lors des récents affrontements entre le Hamas et Israël. « S’il s’avère que l’impact sur les civils et les objets civils est indiscriminé et disproportionné, ces attaques peuvent constituer un crime de guerre », a déclaré la Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme, Michelle Bachelet, qualifiant les événements récents, à Gaza, d’ « effroyables ».
Le même jour, le Coordinateur spécial de l’ONU au Moyen-Orient, Tor Wennesland, devant le Conseil de sécurité, a rappelé que seule une solution politique mettra fin aux « cycles de violence insensés et coûteux » entre Israéliens et Palestiniens. Il y a donc à la fois une conscience de la gravité des événements, mais une inconscience dans la résolution de ces derniers. Car comment croire encore à la solution politique, agitée de longue date, quand ses représentants, israéliens aussi bien que palestiniens, font défaut ?
Il n’est pas improbable que l’État hébreu soit sur le point de tourner la page Benjamin Nétanyahou, au pouvoir depuis 12 ans, sorti paradoxalement vainqueur des dernières législatives en mars dernier, mais incapable de former un gouvernement. Si la droite et le centre pourraient éventuellement s’entendre à ces fins, tout indique que la coalition serait de fondations friables – floues, tout au plus. Sans compter qu’elle pourrait en réalité reprendre la politique de « Bibi », qui a fait bien du tort à la solution à deux États, largement partagée à l’international pour résoudre le conflit israélo-palestinien.
Côté palestinien, la politique est guère mieux lotie. Même si l’équation est simple : « Les urnes ou l’intifada ». Car « la population palestinienne, lassée et désespérée, semble avoir cédé à la violence face à l’absence de solution », estime Marie Durrieu, doctorante en science politique et relations internationales, à propos de la récupération par le Hamas de la rancœur palestinienne. Qui expliquerait, pour partie, le regain actuel de violence, depuis un mois. Peut-être serait-il temps, pour les observateurs internationaux, de prendre conscience que la solution politique, en l’état actuel des choses, ne peut avoir lieu. Ou d’agir. La veille du bombardement, dans le quartier de Rimal, les parents du petit garçon, Qusai, venaient de célébrer l’apparition de sa première dent.
Crédits photo : Dimanche 16 mai, des secouristes palestiniens recherchent les éventuels survivants sous les décombres après une frappe aérienne israélienne, à Gaza (AP Photo/Khalil Hamra).