Vers une fièvre du nucléaire civil dans le monde arabe ?

Guidés par la volonté de sortie de leur dépendance aux énergies fossiles, la réduction de leurs émissions de CO2 et l’indépendance énergétique dans un monde — bientôt — post-fossiles, les pays arabes les plus fortunés rivalisent d’initiatives pour accroître la part du nucléaire dans leur mix énergétique.

Lancement d’une centrale aux Émirats arabes unis, programmes nucléaires saoudien ou égyptien et partenariats internationaux. Guidés par la volonté de sortie de leur dépendance aux énergies fossiles, la réduction de leurs émissions de CO2 et l’indépendance énergétique dans un monde — bientôt — post-fossiles, les pays arabes les plus fortunés rivalisent d’initiatives pour accroître la part du nucléaire dans leur mix énergétique.

 

Des atomes de la Méditerranée jusqu’à Barakah

 

Avec la mise en activité de la centrale de Barakah en avril dernier et les premières ventes d’électrons pour alimenter le réseau national, ce sont les Émirats arabes unis qui ouvrent une nouvelle séquence dans la politique énergétique des pays du Golfe et, plus largement, du monde arabe. À terme, ses quatre réacteurs, situés non loin de Dubaï, produiront 5 600 mégawatts, soit le quart de la consommation totale du pays. Ce projet s’inscrit dans l’ambitieux plan déployé par la fédération pour sortir, plus vite que ses voisins, de sa dépendance à la manne pétrolière via une diversification de son économie et de son mix énergétique.

Chez le voisin saoudien, si des projets sont en cours de réflexion depuis 2012 pour un parc ambitieux de 14 réacteurs, le pays est toujours en négociations avec de nombreux partenaires potentiels, dont la Chine. Selon certaines sources, le pays serait d’ores et déjà en mesure d’enrichir son propre uranium, grâce à l’aide fournie par l’entreprise chinoise CNNC. Pour autant, les doutes de l’allié historique américain, qui croit discerner des ambitions militaires dans la volonté saoudienne de se positionner sur le nucléaire civil, semblent freiner le développement du programme national. Mais la volonté de Riyad de déployer ses propres réacteurs est intacte.

En Égypte, ce sont quatre réacteurs qui devraient être construits dans les prochaines années, sur le site d’El Dabaa, proche de la côte méditerranéenne. Un premier réacteur devrait voir le jour d’ici 2026, malgré des retards liés à la situation sanitaire mondiale, grâce à un partenariat entre l’Égypte et le géant russe Rosatom. Ces quatre réacteurs pourraient totaliser une production de 4800 mégawatts. Le site avait été choisi dès 1983 pour sa proximité avec la Méditerranée, permettant d’envisager une désalinisation de l’eau de mer afin d’améliorer l’accès à l’eau potable des Égyptiens.

D’autres États de la région, souvent dépendants des importations énergétiques étrangères, comme la Jordanie ou le Koweït, s’ils sont à des stades plus précoces de leurs programmes, pourraient néanmoins emboîter le pas de ces trois pays dans les prochaines années. L’engouement est réel et les investissements massifs se chiffrent pour chaque pays à plusieurs dizaines de milliards d’euros.

Comment comprendre ce développement dans une région traditionnellement liée au pétrole ? L’épuisement des stocks dans les prochaines décennies, les préoccupations environnementales et l’autonomie géopolitique sont autant de pistes à suivre pour analyser le phénomène, car le seul recours aux énergies éoliennes et photovoltaïques ne produirait pas suffisamment d’électricité pour répondre aux demandes internes.

 

La route vers l’indépendance stratégique passe -en partie- par le nucléaire

 

Si les situations respectives des pays mentionnés sont loin d’être similaires, certains points communs peuvent être dégagés dans leurs approches du nucléaire civil. Le premier est la prise en compte du risque que pose la dépendance à la manne pétrolière pour la santé économique d’un pays. Le second, qui en est sa conséquence directe, est d’assurer pour les prochaines décennies une feuille de route pour assurer l’indépendance stratégique et énergétique des pays tout en s’inscrivant dans la nécessité d’une baisse globale des émissions de CO2.

La région possède les plus importantes réserves prouvées de pétrole et, depuis la chute spectaculaire des cours en 2014 faisant suite à la baisse de la demande chinoise et la concurrence grandissante du gaz de schiste américain, la nécessité des pays exportateurs de pétrole de mieux équilibrer leur mix énergétique s’est avérée une priorité. En effet, pour un pays comme l’Arabie saoudite, le pétrole représente encore 23 % du PIB et 68 % des revenus de l’État.

Les EAU se sont engagés dans cette voie avec un peu plus d’avance que leur grand voisin, car bien qu’ils restent le 7e producteur mondial de pétrole brut, le secteur ne représente plus « que » 13 % leur PIB. Mieux, ils ont entrepris avant les autres monarchies de réinvestir cette manne dans la diversification de leur économie : dans le tourisme (Dubaï), l’investissement via son fonds souverain ou l’économie du savoir par des partenariats avec des universités étrangères. Or, que ce soit l’Arabie saoudite ou les EAU, qui possèdent tous les deux également des programmes massifs de développement des infrastructures renouvelables, le nucléaire reste indispensable à la tenue dans les délais d’un plan de sortie de l’économie strictement pétrolière.

Du côté de l’Égypte, c’est la dépendance au gaz (75 % de son mix énergétique) ainsi que la nécessité de répondre à la double exigence contradictoire de la forte croissance de la demande domestique et de la réduction des émissions de CO2 qui poussent vers le développement du nucléaire.

 

Changement du paradigme économique

 

Ces différents projets prennent place plus largement dans le passage d’une économie rentière à une économie productive, avec la nécessité de créer de nouveaux partenariats dans une logique de marché accrue, où l’écologie prend une part croissante. De ce point de vue, la coopération avec des pays tiers peut également être une monnaie diplomatique nouvelle pour protéger les intérêts de ces États. Or, dans les relations internationales des décennies à venir, la baisse progressive des réserves pétrolières ainsi que la nécessité de réduction des émissions de CO2 dans le cadre de la transition écologique rendent obligatoire une approche renouvelée de l’énergie.

Dans ce cadre, et suivant en cela le dernier avis de l’Agence internationale de l’énergie (IAE), le recours à une part significative de nucléaire, en plus d’autres énergies renouvelables, est une nécessité pour assurer à la fois sur le plan intérieur les besoins cruciaux en énergie et sur le plan extérieur un plus grand degré d’indépendance géostratégique.

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