François Burgat décrypte le sens de la venue prochaine de l’émir du Qatar à Paris, pour sa troisième rencontre avec Emmanuel Macron en moins d’un an.
Prévue vendredi 6 juillet, la rencontre entre l’émir du Qatar Tamim bin Hamad Al Thani et le président français Emmanuel Macron sera la troisième entre les deux hommes en moins d’un an. Une relation étroite dans laquelle le politologue François Burgat devine un soutien en filigrane de Paris à Doha, dans la crise qui oppose le petit pays du Golfe à l’Arabie saoudite et aux Emirats arabes unis notamment.
La précédente visite officielle de l’émir du Qatar en France a eu lieu en septembre dernier, tandis qu’Emmanuel Macron s’est rendu à Doha en décembre. Tamim bin Hamad Al Thani doit rendre de nouveau visite au locataire de l’Elysée en fin de semaine. La fréquence des rencontres entre les Chefs d’Etat de ces deux pays paraît particulièrement soutenue, comment l’expliquer ?
La fréquence des relations au sommet est banalement à la mesure de l’importance des relations commerciales et stratégiques entre les deux pays. Elles ont atteint 2,7 milliards d’euros en 2017, en hausse de 30 % en un an ce qui place le Qatar, derrière l’Arabie saoudite et les Emirats, au troisième rang des échanges commerciaux avec le Golfe.
On se souvient qu’Emmanuel Macron en appelait, il y a quelques mois, à la levée de l’embargo sur les populations du Qatar. Cette sortie mise à part, la diplomatie française se garde de choisir son camp dans la crise qui oppose l’Arabie saoudite et ses alliés au Qatar, pourquoi ?
Paris s’est gardée de se laisser entraîner dans les raccourcis de la campagne de Mohamed Ben Salman et Mohamed Ben Zayed contre le Qatar. Aux initiateurs du blocus, la France n’a notamment jamais donné crédit à leurs accusations les plus fragiles en matière de “soutien” supposé du Qatar “au terrorisme”. C’est évidemment une très bonne chose qu’il convient de saluer même s’il ne s’est pas agi là seulement d’une question d’éthique. Paris, fut-ce dans le respect de ses relations avec Riyad et Abou Dhabi, n’a pas voulu sacrifier le troisième de ses partenaires dans la région. Cela dit, la partition française actuelle manque depuis lors de volontarisme et de clarté, Paris refusant de suivre les entreprises bellicistes des agresseurs du Qatar mais se refusant tout autant de les condamner clairement comme telles. Seule l’Allemagne a eu le courage de le faire, sans craindre de voir le royaume imposer depuis lors le boycott de certains de ses produits.
Doit-on percevoir les rencontres fréquentes entre les chefs d’Etat français et qatari comme un soutien tacite de Paris à Doha dans cette crise ?
Oui, bien sûr. Au tout début de la crise, Paris avait notamment choisi d’envoyer un signal clair à Riyad en organisant l’escale d’un bateau militaire à Doha, signalant ainsi que la France ne souhaitait pas s’associer aux consignes de boycott de l’émirat. Le seul fait de n’avoir pas le moins du monde ralenti le rythme des relations au sommet est tout autant un signal très clair dans la même direction. Même si ce soutien, très pondéré, n’est jamais explicité, on peut dire que le prudent attentisme de Paris, comme d’ailleurs – hormis Berlin – celui du reste des Européens ou des Occidentaux, Etats-Unis inclus, a valeur de soutien à la posture du Qatar dans cette crise.
Le sujet sera-t-il selon vous abordé lors de la visite de l’émir à Paris ?
Oui bien sûr. Il est bien peu concevable que le Qatar n’aborde pas à Paris une question aussi centrale dans son agenda… existentiel.
Le Qatar a décidé de porter le blocus devant la Cour internationale de Justice, accusant les Emirats arabes unis d’agir en contradiction avec le droit international et leur réclamant une compensation financière pour le préjudice qu’il estime avoir subi. Pensez-vous que cette initiative peut contribuer à débloquer la situation ?
Le Qatar a de toute évidence le droit international de son côté et sa démarche est donc légitime. On sait malheureusement – la situation des Palestiniens est là pour en témoigner – que sur le terrain international, l’instrument judiciaire est d’une efficacité limitée car il se heurte à un rapport de force fondé sur les intérêts de ceux qui choisissent ou non de le respecter ou de le faire respecter. Seuls les progrès du multilatéralisme – que l’on ne voit malheureusement pas se dessiner pour l’heure, ce qui est peu dire – seraient en mesure de donner à la contribution de la CIJ le poids qu’elle devrait normalement avoir. La lecture de l’administration Trump, acteur régional et mondial décisif, a d’abord été toute entière marquée par l’obsession anti-iranienne de son allié israélien, qu’elle partage avec son partenaire saoudien. Washington n’est toutefois pas complètement engagée derrière Riyad et Abou Dhabi ou plutôt elle ne l’est plus. Trump a en effet constaté avec beaucoup de déplaisir que l’ostracisation du Qatar avait à bien des égards rompu le “front sunnite” que Riyad voulait mobiliser contre l’Iran et jeté l’émirat dans les bras de… l’ennemi ! Début 2018, avec la nomination de Mike Pompeo au département d’Etat, Washington est donc revenue sur le soutien initialement apporté à l’initiative saoudo-émiratie. Trump semble désormais leur demander assez clairement – mais à ce jour sans effet – de mettre un terme au blocus afin de rétablir l’unité des rangs du Conseil de coopération du Golfe. Devant la résistance de MBS et MBZ – qui sont allés trop loin pour faire marche arrière sans perdre la face – les Etats-Unis se retrouvent donc aujourd’hui sur la même position attentiste que la majorité des autres Occidentaux.
Crédit image : Ambassade du Qatar

Politologue français, membre de l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (IREMAM).