Pourquoi faut-il lever le blocus aérien qui impacte le Qatar

Malgré le blocus saoudien et la crise du coronavirus, Qatar Airways affiche sa capacité de résilience, estime Sébastien Boussois.

On le sait, au début de la crise déclenchée le 5 juin 2017 entre le Qatar et ses voisins saoudiens, émiratis et, par incidence, égyptiens et bahreïnis, un blocus politique, économique et aérien a été mis en place contre Doha. Depuis cette date, la compagnie aérienne Qatar Airways n’opère donc plus de liaisons  avec les pays du « quartet » qui l’ont isolée et poussée à détourner ses avions de leur espace aérien, rendant les trajets globalement plus longs à chaque fois d’au moins vingt minutes, voire une heure, en survolant l’Iran. Cela a bien sûr des conséquences économiques majeures. Aujourd’hui, dans une posture difficile depuis le début de la crise sanitaire mondiale – mais moins mauvaise que ses rivales Etihad et Emirates, largement clouées au sol depuis quatre mois –, Qatar Airways réclame 4,3 milliards d’euros d’indemnisations pour le dommage occasionné.

Stratégie expansive

Depuis le début du blocus, la compagnie perd chaque année plusieurs millions de dollars, comme en 2019, avec un record de 639 millions de dollars, malgré un chiffre d’affaires de 13,2 milliards de dollars. Les raisons varient. Les pertes ne sont pas liées uniquement à la suppression de lignes ou à la hausse du prix du pétrole. Il y a aussi eu de nombreux d’investissements en rapport avec la création de nouvelles lignes et l’achat de matériel dernier cri. En 2019, 11 nouvelles lignes ont tout de même été inaugurées, soit 30 en tout depuis le début du blocus. Le 250ème avion de la compagnie a été livré l’année dernière et l’ensemble de la flotte est estimée désormais à une valeur de 85 millions de dollars.

Pourtant, aujourd’hui, on parle de milliers de licenciements, depuis qu’en plus du blocus, la pandémie du Covid-19 s’est installée et dure. Si l’on ne peut contrôler l’expansion du virus, l’on peut au moins contrôler et espérer faire appliquer le droit et mettre fin au blocus. Malgré de lourdes pertes financières, donc, sur une vingtaine de lignes depuis trois ans, la compagnie nationale qatarie, résiliente, a dopé l’ouverture de ses lignes, notamment les plus lointaines vers l’Afrique. 24 nouveaux chenaux aériens ont effectivement été inaugurés depuis 2018. Et dernièrement, Qatar Airways a tenu à assurer la protection de ses salariés en leur proposant de poser des congés, sans baisse de salaire, tout le temps de la crise.

Cette stratégie expansive prouve tout de même la bonne santé économique globale de la compagnie. La crise mondiale qui s’est ajoutée en mars 2020 n’étant qu’un test supplémentaire pour le patron de Qatar Airways, Akbar al-Baker, qui cherche par tous les moyens à faire condamner ses voisins. A l’été 2017, après que les Nations unies ont déclaré le blocus saoudo-émirati illégal, une plainte avait d’ailleurs été déposée par Doha auprès de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), pour dénoncer les restrictions aériennes imposées par ses voisins. Qatar Airways en appelait aussi la même année à l’Organisation internationale de l’aviation civile (OIAC) pour reconnaître publiquement que le blocus était contraire aux conventions internationales de 1944 sur le transport aérien et la liberté de circulation. En vain, puisque l’Arabie saoudite ne les a jamais signées !

Réchauffement géopolitique

Mais en juillet 2020, lueur d’espoir, la Cour internationale de justice (CIJ), plus haute juridiction de l’ONU, s’est elle aussi positionnée en faveur de Doha après que le Qatar a déposé plainte, et confirmé que l’OIAC avait compétence pour juger les pays du quartet. C’est pour cela que la compagnie réclame aujourd’hui ces fameux 4,3 milliards d’euros. Elle a, après tout, une image de sérieux à assumer : si toutes les compagnies aériennes trinquent actuellement dans le monde, Qatar Airways a été élue meilleure compagnie aérienne commerciale au monde pour la cinquième fois de son histoire, en 2019, après être devenue en quelques décennies l’un des fleurons de la communication de l’émirat du Qatar.

Bien que beaucoup de pays n’y accordent aucune importance, comme les ceux du Maghreb par exemple, l’on peut commencer à prendre soin de son image internationale à bord d’un avion de sa compagnie nationale. Qatar Airways brille non seulement par la couverture de près de 170 destinations sur les 5 continents, en temps normal, mais également par la qualité et la modernité de sa flotte, ou encore la formation de haut niveau du personnel naviguant sur le modèle asiatique et l’excellence de son service à bord. Avec 212 avions et 28 cargos, la flotte de Qatar Airways s’est récemment réorganisée pour ne disposer, à terme, que des quatre avions les plus performants au monde :  l’A321neo et l’A350, le Boeing 777 et le 787.

Davantage qu’une simple compagnie aérienne, l’entreprise qatarie est devenue l’exemple parfait de la capacité de résilience de l’émirat, depuis le début du blocus comme depuis le déclenchement de la crise sanitaire : n’a-t-elle pas couvert massivement les rapatriements d’étrangers, tout en acheminant vivres et matériels médicaux dans le monde entier grâce à ses cargos ? La position récente de la CIJ peut être l’occasion d’observer de nouveau le droit international, en faisant pression efficacement sur l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis afin qu’ils lèvent ce blocus, première étape d’un réchauffement géopolitique indispensable pour la sécurité de la région. Donc pour nous, Européens, également.

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