Pour lutter contre les Forces démocratiques alliées à l’est de la RDC, Félix Tshisekedi associe les Forces armées congolaises (FARDC) aux gardes du parc national des Virunga, pour réagir plus rapidement en cas d’attaque.
Au cœur des ténèbres
Mercredi 20 octobre : un groupe de combattants des Forces démocratiques alliées (Allied Democratic Forces ou ADF en anglais) surgit au petit matin dans le village de Kabrique, situé sur le territoire d’Irumu, au nord-est de la RDC. Éclair, l’attaque fait au moins six morts parmi les villageois et de nombreux blessés. Avant de se volatiliser dans la brousse, les assaillants incendient des maisons. Un scénario d’une violence extrême qui laisse les survivants abasourdis, même s’il n’a rien de surprenant dans cette région frontalière de l’Ouganda, où les raids de ce groupe armé sèment la terreur depuis des années.
Composées à l’origine de rebelles musulmans ougandais, les ADF sont implantées dans l’est de la RDC depuis 25 ans. Ayant renoncé à opérer en Ouganda, elles s’affairent depuis 2013 à terroriser les habitants des environs de Béni, en RDC, s’érigeant rapidement en faction la plus sanguinaire de la région des Grands Lacs, qui en compte plus d’une centaine pour sa seule partie congolaise. Les 600 à 1500 hommes qui composent les rangs du groupe seraient responsables de la mort de plus de 6000 civils, selon l’épiscopat congolais.
Des attaques à répétition dont une partie est revendiquée depuis avril 2019 par l’État islamique (EI), la multinationale djihadiste désignant les ADF comme sa « province d’Afrique centrale » (Iscap en anglais). Un rapprochement opportuniste pour l’EI, qui y voit une occasion inespérée d’élargir sa sphère d’influence dans une zone majoritairement animiste et chrétienne, et pour l’ADF, qui peut compter sur le soutien financier logistique et financier de l’EI – même si la priorité africaine de l’organisation terroriste reste Boko Haram, rebaptisé depuis État islamique en Afrique de l’Ouest. En mars dernier, les États-Unis placent les ADF sur la liste des « organisations terroristes » affiliées à l’EI.
État de siège
Washington n’est pas la seule à prendre très au sérieux la menace. Dès avril 2021, lors d’une rencontre avec Emmanuel Macron, le président de la RDC Félix Tshisekedi évoquait un « groupe à tendance islamiste, au discours islamiste et aux méthodes islamistes », référence directe aux ADF. « Je suis plus que jamais déterminé à l’éradiquer et je compte sur le soutien de la France », ajoutait le président congolais.
En mai de la même année, Félix Tshisekedi décrétait l’état de siège dans le Nord-Kivu et l’Ituri, deux provinces de l’est de la RDC, afin de « mettre rapidement fin à l’insécurité qui décime quotidiennement nos compatriotes », selon le porte-parole du gouvernement. Si le dispositif, qui consiste à confier à l’armée le contrôle des institutions locales, peine pour l’instant à faire ses preuves, les autorités ont promis une montée en puissance. Mais comptent aussi sur une aide accrue de la communauté internationale.
Appels à la communauté internationale
Le 21 septembre dernier, en tant que président de l’Union africaine, Félix Tshisekedi invitait dans un discours tenu lors de la 76eme session ordinaire de l’Assemblée générale des Nations Unies la « communauté des nations » à ne pas « minimiser le danger que représente la propagation du djihadisme en Afrique », doublant l’exhortation d’une mise en garde : « si elle n’adopte pas une stratégie globale et efficace pour éradiquer ce fléau, les plaies ouvertes dans la zone saharienne, en Afrique centrale et australe continueront à se métastaser jusqu’à faire jonction pour devenir une menace réelle pour la paix et la sécurité internationales ».
Des propos faisant écho à ceux tenus par la délégation congolaise début juillet lors du débat sur le septième examen de la Stratégie antiterroriste mondiale des Nations Unies, cette dernière ayant attiré l’attention sur les « djihadistes ADF/MTN » qui s’illustrent par des recrutements forcés d’enfants, l’endoctrinement et les violations massives et graves des droits de l’homme à l’encontre des populations civiles, des agents humanitaires, des forces de sécurité et des Casques bleus de la Mission des Nations Unies (MONUSCO). La délégation avait alors encouragé l’ONU à prendre la question de la « connexion ADF–EI » très au sérieux et à ne pas attendre qu’il soit trop tard pour faire les « bonnes recommandations » au Comité contre le terrorisme.
Extension du domaine de la lutte
Dans son combat contre le groupe djihadiste, la RDC peut d’ores et déjà compter sur des alliés de poids. Ainsi des États-Unis, que le géant africain a autorisé, le 15 août dernier, à envoyer des experts anti-terroristes pour appuyer son armée dans sa lutte contre les ADF, en application d’un partenariat privilégié pour la paix signé en 2019 entre les deux pays. Ou encore des Émirats arabes unis : au terme d’échanges avec le prince héritier d’Abu Dhabi, Ben Zayed Al-Nahyane, le président congolais a obtenu le 10 octobre dernier la mise à disposition immédiate d’un milliard de dollars (en investissements dans les infrastructures, la sécurité, l’énergie et les mines notamment) ainsi qu’un don de 30 blindés tactiques destinés à soutenir la RDC dans la lutte contre le terrorisme, particulièrement dans sa partie orientale (Nord-Kivu, Sud-Kivu et Ituri).
Mais, loin de se reposer sur l’aide extérieure, le pays de Félix Tshisekedi entend aussi mobiliser toutes ses ressources internes. L’armée congolaise (FARDC) rivalise ainsi d’ingéniosité pour contrer les ADF, en s’associant par exemple aux gardes du parc national des Virunga, chargés de lancer l’alerte en cas d’attaque. L’initiative s’appuie sur la technologie et la participation de la communauté locale, dont certains membres se sont vu remettre de petits appareils permettant, par simple pression sur un bouton, de prévenir l’armée « en cas de mouvements suspects ». Un dispositif dont l’agilité est calquée sur celle des ADF, dans l’espoir d’apporter une réponse adaptée à la guerre asymétrique menée par la force terroriste.