Cela fait quelques années que Riyad soupçonne le « pays du Cèdre » de se rapprocher de l’ennemi juré iranien.
La remarque télévisée d’un animateur de jeux télévisés, George Kordahi, devenu ministre libanais, sur la guerre au Yémen, a porté la crise entre le « pays du Cèdre » et l’Arabie saoudite à de nouveaux sommets.
Lors de ses réponses aux questions d’un public de jeunes, l’animateur de Who wants to be a millionaire – émission diffusée sur une chaîne de la télévision saoudienne – a qualifié la guerre entre Riyad et les Houthis (rebelles chiites opposés au gouvernement yéménite, soutenu par le royaume saoudien) d’ « absurde ». Il n’en fallait pas plus pour raviver des braises encore chaudes entre les deux pays.
« Dernière escalade »
L’émission en ligne a été enregistrée environ un mois avant que George Kordahi ne soit nommé ministre de l’Information dans le gouvernement du Premier ministre Najib Mikati, formé en septembre. Soulignons également – cela a son importance – que l’animateur a été nommé par un parti majoritairement chrétien allié au Hezbollah (chiite, affilié au régime de Téhéran, l’ennemi juré des Saoudiens).
Les responsables saoudiens ont blâmé ses remarques comme étant « offensantes » et biaisées, puisque favorables aux Houthis. La colère suscitée par ces commentaires a conduit les pays arabes du Golfe à prendre des mesures isolant davantage le Liban ; ces derniers menacent désormais de diviser son nouveau gouvernement de coalition, pourtant chargé de mettre un terme à l’effondrement économique du pays.
Les mesures punitives de l’Arabie saoudite, autrefois un allié important qui versait des millions de dollars au Liban, pourraient causer davantage de problèmes (économiques surtout). Le royaume a ainsi interdit toutes les importations libanaises. Un coup dur pour un pays dont les principaux partenaires commerciaux se trouvent dans le golfe Persique.
« Il s’agit de la dernière escalade dans la rivalité qui se joue depuis longtemps au Liban entre l’Arabie saoudite et l’Iran, estime l’agence américaine Associated Press (AP). Les tensions se sont prolongées pendant des années en raison du rôle dominant au Liban du groupe militant Hezbollah, soutenu par l’Iran. »
Aujourd’hui, les responsables saoudiens insistent sur le fait qu’il est inutile de traiter avec le gouvernement de Beyrouth après une telle dérive vers l’Iran. Mais qu’est-ce qui se cache réellement derrière la réaction furieuse de l’Arabie saoudite, et qu’est-ce que cela signifie pour le Liban déjà en difficulté ?
Domination du Hezbollah
Les Saoudiens savent ce qu’ils ne veulent pas – une influence iranienne croissante au Liban -, mais ils ne savent pas quoi faire, a déclaré en substance Joseph Bahout, directeur de recherche à l’Université américaine de Beyrouth, à AP.
L’Arabie saoudite a longtemps été un proche allié des politiques de la communauté musulmane sunnite du Liban, qui choisit le premier ministre dans le cadre du système confessionnel du pays. Mais le royaume n’a jamais fait de cette communauté divisée un puissant mandataire politique comme le Hezbollah chiite – avec sa puissante force armée – est devenu le fidèle allié de l’Iran au Liban.
Sous la direction du prince héritier saoudien, Mohammed ben Salman, connu pour sa politique étrangère affirmée, voire effrontée selon certains, l’Arabie saoudite a pris des mesures sporadiques pour tenter d’imposer sa volonté, mais elle n’a pas réussi à élaborer une stratégie cohérente ou à trouver de nouveaux alliés bien enracinés. Elle n’a pu que constater la domination progressive du Hezbollah et de ses alliés au sein des derniers gouvernements libanais.
L’Arabie saoudite a pris la mesure la plus radicale en 2017, lorsqu’elle a forcé le Premier ministre de l’époque, Saad Hariri, à annoncer sa démission, en invoquant la domination du Hezbollah, dans une déclaration télévisée faite lors d’une brève visite dans le royaume, où il était apparemment retenu contre son gré. « Les relations sont glaciales depuis cet événement, rappelle AP. L’Arabie saoudite, ainsi que les Émirats arabes unis, le Koweït et Bahreïn ont retiré leurs ambassadeurs du Liban et expulsé les émissaires libanais le royaume ».
Tensions sociales
Les impacts sur le « pays du Cèdre » de cette géopolitique tourmentée ? Un « coup dur », selon l’agence américaine. Car l’interdiction d’importation signifie la perte de millions de dollars en devises étrangères dont le pays a désespérément besoin. Et toute nouvelle escalade pourrait compromettre l’emploi de plus de 350 000 Libanais dans les États arabes du Golfe, qui envoient des millions de dollars dans leur pays.
Le Premier ministre libanais et d’autres responsables ont demandé à George Kordahi de démissionner du Cabinet, mais il n’est pas certain que cela résoudrait le désaccord. Le Hezbollah a fermement soutenu le ministre, affirmant que sa démission ne résoudra pas ce qu’ils appellent « l’extorsion » de la part des Saoudiens pour forcer le Liban à changer sa politique étrangère.
Tout cela laisse présager de nouvelles divisions internes au sein d’un gouvernement déjà paralysé par l’enquête sur la gigantesque explosion du port de Beyrouth, qui avait fait plus de 200 morts l’année dernière. Le parti chiite a exigé la révocation du juge d’instruction en chef. Et une récente explosion de violence dans les rues, la pire depuis des années, a fait planer le spectre de tensions sociales à l’approche d’élections parlementaires cruciales, en mars prochain, qui devraient constituer un test pour le Hezbollah et ses alliés.
Crédits photo : Des Libanais tiennent des drapeaux de l’Arabie saoudite lors d’une manifestation de soutien au royaume contre les commentaires d’un ministre libanais sur la guerre au Yémen, devant l’ambassade d’Arabie saoudite à Beyrouth, au Liban, le 30 octobre 2021 (AP Photo/Bilal Hussein).