Les entreprises libanaises victimes de la brouille entre Beyrouth et Riyad

Les Saoudiens accusent les Libanais de soutenir l’Iran, et prennent des mesures coercitives en réponse.

Une DJ libanaise était à quelques jours de se rendre à Riyad pour jouer pendant un mois dans l’un des plus récents centres de divertissement de la capitale saoudienne, lorsqu’un message Whatsapp, bref et poli, l’a informée que le contrat n’aboutirait pas. La directrice d’une agence de communication basée à Beyrouth, la capitale du Liban, avait négocié pour relancer un contrat vieux de deux ans, mis entre parenthèses par la pandémie, pour des centaines de milliers de dollars. Après deux jours de silence, son client saoudien, dans un appel d’excuse, a dit que ce n’était pas le moment.

Mais aussi : un propriétaire d’entreprise, qui, pendant des années, a exporté de la papeterie vers le royaume saoudien, a dû renvoyer 20 conteneurs de cahiers et de papier prêts à être expédiés dans son entrepôt à l’extérieur de Beyrouth. Ce sont là quelques-unes des victimes de la furieuse réaction de l’Arabie saoudite contre le Liban, en octobre dernier, après qu’un ministre libanais a critiqué sa guerre contre les rebelles Houthis (chiites, soutenus par l’Iran), au Yémen, depuis 2015. Et qui a précipité le pays, selon les Nations unies (ONU), dans l’une des pires catastrophes humanitaires.

« À l’origine de la crise, rappelle l’agence américaine Associated Press (AP), on trouve une rivalité régionale vieille de plusieurs années avec l’Iran et un malaise saoudien face à l’influence croissante du Hezbollah libanais, soutenu par le régime de Téhéran. Le Liban est pris entre deux feux. »

En réponse aux commentaires du ministre, l’Arabie saoudite a rappelé son ambassadeur et interdit les importations libanaises, allant du chocolat aux produits chimiques, qui rapportaient environ 240 millions de dollars par an. Et, désormais, la crise diplomatique suscite l’inquiétude des Libanais, en particulier de ceux qui travaillent dans les pays du Golfe, à un moment où le Liban subit déjà un effondrement économique sans précédent. Chloe, la DJ libanaise, partage cette angoisse : « Je me suis sentie mal, dit-elle, pas seulement pour ma part, mais pour mon pays et pour les expatriés ».

D’autant plus que de nombreuses familles libanaises vivent à l’étranger. En particulier dans les monarchies du Golfe. Et les envois de fonds de plus de 350 000 Libanais travaillant et vivant dans ces pays ont été essentiels, à un moment où l’effondrement économique et social du « Pays du Cèdre » fait grimper l’inflation et le chômage. Selon la Banque mondiale, les envois de fonds de plus de 6,2 milliards de dollars, provenant principalement des pays du Golfe, représentaient 18,9 % du PIB du Liban en 2020, soit l’un des plus élevés au monde.

Si la valeur en dollars des exportations vers l’Arabie saoudite a diminué ces dernières années, le royaume a été l’un des principaux importateurs de produits libanais – notamment de savon, de livres imprimés et de certaines conserves alimentaires. Raison pour laquelle les responsables du gouvernement libanais ont tout tenté pour désamorcer la crise, affirmant que les commentaires du ministre de l’Information, George Kordahi, faits avant qu’il ne prenne ses fonctions, ne représentaient pas leur point de vue.

Pénuries de carburant

Dans le même temps, le Koweït, le Bahreïn et les Émirats arabes unis ont également rappelé leurs ambassadeurs et, comme les Saoudiens, ont demandé aux diplomates libanais de quitter le pays, inaugurant ainsi l’une des périodes les plus froides des relations diplomatiques entre ces pays du Golfe et le Liban – quand bien même les relations s’étaient dégradées depuis un certain temps. En 2013, des centaines de chiites libanais travaillant dans le Golfe avaient été expulsés, car soupçonnés de soutenir le Hezbollah, qui venait d’entrer en guerre en Syrie aux côtés de Bachar al-Assad (et de l’Iran).

Et, signe qui ne trompe pas, alors que la crise financière du Liban commençait à se répandre en 2019, l’Arabie saoudite, qui avait pourtant soutenu Beyrouth à hauteur de 6 milliards de dollars entre 2004 et 2015 – en investissements et en soutien diplomatique -, était aux abonnés absents, préférant détourner le regard d’un pays allié en plein marasme économique et politique – le Liban peinait, à l’époque, comme aujourd’hui, à trouver une stabilité gouvernementale.

Au début de cette année, l’Arabie saoudite a intensifié la pression, en empêchant par exemple les produits libanais d’atteindre ou de transiter par le royaume, après avoir accusé le Hezbollah d’utiliser les cargaisons pour faire passer de la drogue. Un coup dur pour les agriculteurs, qui dépendent principalement du Golfe pour commercialiser leurs produits. Mais un coup dur, selon Riyad, aux accents de « punition collective », en réponse au soutien de Beyrouth au mouvement chiite libanais.

Désormais, selon AP, « les mesures saoudiennes menacent de démanteler tout ce qui reste d’une base manufacturière au Liban ». La crise bancaire a déjà contraint de nombreuses entreprises à réduire leurs effectifs, et les pénuries de carburant ont fait du Liban l’un des pays les plus chers en termes de production d’électricité. Georges Nasraoui, directeur par intérim de l’Association des industriels libanais, a déclaré qu’au moins 15 usines parmi les 900 membres du groupe ont transféré leurs activités dans les pays voisins au cours des derniers mois. D’autres envisagent de le faire, ce qui mettrait davantage d’emplois en danger.

Partages