Au Burkina Faso, Roch Kaboré peut-il sortir le pays de la violence terroriste ?

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03.03.2020

La bande sahélo-saharienne, dans son ensemble, connait une intensification considérable du terrorisme.

En cinq ans, le nombre de victimes du terrorisme au Burkina Faso s’élève à presque 800 morts, auxquels s’ajoutent des centaines de milliers de déplacés. Face à la faillite des forces armées burkinabè, le Parlement, sous l’impulsion du Président Roch Kaboré, a voté le 21 janvier une loi autorisant le recrutement de volontaires armés pour pallier les difficultés des forces régulières. A quelques mois d’une élection présidentielle décisive pour le Burkina Faso, le Président Roch Kaboré doit composer avec un bilan sécuritaire malheureux.

Une recrudescence des attaques terroristes depuis l’avènement de Roch Kaboré 

Le mardi 25 décembre 2019, 42 personnes, dont 31 femmes, sont tuées à Arbinda, une localité située dans le nord du pays. Quelques heures après, une dizaine de militaires des forces armées burkinabè perdent la vie à Hallalé, à une cinquantaine de kilomètres au sud d’Arbinda. Le 4 janvier, 14 personnes, dont 7 écoliers, succombent à l’explosion d’un engin artisanal dans le nord-ouest du Burkina Faso. Les lieux de culte ne sont pas épargnés. Une église protestante a été ciblée à Hantoukoura, à la frontière nigérienne, le 1er décembre 2019. 14 morts sont à déplorer. Le 10 octobre,16 fidèles musulmans sont sommairement abattus pendant la prière du vendredi soir, dans un petit village de l’Oudalan. La dernière attaque en date, dont le bilan est estimé à 24 morts civils, a frappé une église protestante le 16 février dernier, dans la province de Yagha. Au Burkina Faso, le bilan macabre du djihadisme s’alourdit jour après jour et le gouvernement semble désemparé face à la violence terroriste. Le nombre de déplacés internes atteint des sommets.

« De 2016 à la présente année 2020, un million de Burkinabè a été transformé en refugiés, en pleine errance dans leur propre pays » déplore Eddie Komboïgo, Président du Congrès pour la Démocratie et le Progrès (CDP) et chef de file de l’opposition à la prochaine élection présidentielle, interrogé par le Monde arabe. Jusqu’en 2015, le Burkina Faso était pourtant épargné. Le 4 avril 2015, 6 mois après la chute du régime de Blaise Compaoré, un expatrié roumain, agent de sécurité, est enlevé dans le nord du Burkina. Revendiquée par Al-Mourabitoune, mouvement alors affilié à Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), cette attaque est l’acte fondateur d’une longue série d’exactions commises contre les populations civiles, les symboles de l’État et les forces de sécurité.

La bande sahélo-saharienne, dans son ensemble, connait une intensification considérable du terrorisme avec environ 4 000 victimes comptabilisées dans les trois pays de la région en 2019, contre seulement 80 en 2016. Le Burkina Faso est aujourd’hui l’un des pays les plus touchés. Selon Matteo Puxton, historien et spécialiste de la stratégie militaire de l’État islamique, interrogé par Le Monde arabe le 30 décembre dernier, au Mali, au Niger et au Burkina Faso « opèrent deux acteurs du côté djihadiste, le Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans, coalition de factions ralliées à al-Qaïda, et l’État Islamique au Grand Sahara, la branche sahélienne de l’État islamique ». Un enjeu d’autant plus fort que la disparition quasi-totale de l’emprise territoriale de l’État Islamique en Irak et en Syrie rend la région sahélienne particulièrement stratégique pour Daesh. Mais ces groupes, s’ils s’intègrent dans des mouvances djihadistes transnationales, conservent un ancrage local leur offrant une fine connaissance des territoires et, parfois, une certaine aura auprès des populations. La faillite de l’État, la pauvreté et les crispations identitaires constituent un terreau fertile pour la perpétuation des mouvements terroristes. « Il ne faut pas oublier que les djihadistes sont, eux aussi, des locaux. Les plus âgés sont des vétérans des phases précédentes du djihad global », explique Matteo Puxton.

Déstructuration de l’armée et du renseignement : le Burkina Faso démuni face à la violence djihadiste

Selon plusieurs experts et personnalités politiques burkinabè, la recrudescence du terrorisme au Burkina Faso s’explique notamment par la dissolution du Régiment de Sécurité Présidentielle (RSP) après le coup d’État infructueux de 2015 orchestré par son ancien commandant, le général Gilbert Diendéré. « Le RSP concentrait l’essentiel des renseignements du Burkina. Aujourd’hui, sur le plan du renseignement, c’est un fatras que les Burkinabè essayent de reconstruire avec beaucoup de méfiance entre les différentes forces » explique un journaliste burkinabè interrogé par France Culture. Dirigé jusqu’à son arrestation par le général Diendéré, qui centralisait l’ensemble des données et des capacités d’écoute de l’État, le renseignement burkinabè était « réputé comme étant l’un des mieux informés de la sous-région », selon la Fondation pour la Recherche Stratégique. L’Agence Nationale du Renseignement (ANR), créée en 2015 après le désarmement du RSP, n’a pas rempli ses promesses et le pays subit toujours une faille capacitaire inquiétante dans ce domaine essentiel de la lutte antiterroriste.

De même, l’armée burkinabè, sous-équipée et déstructurée, subit aussi des désertions récurrentes, qui contribuent à sabrer les effectifs d’une force déjà affaiblie. Jusqu’en 2015, la faiblesse structurelle de l’armée était compensée par la qualité du RSP. Mais, les anciens du RSP ont été mutés dans d’autres unités ou emprisonnés à la suite du coup d’État manqué de 2015. Des officiers, proches du pouvoir de Roch Kaboré, occupent une partie des postes de direction de l’armée burkinabè malgré une aptitude souvent défaillante au commandement.

Blaise Compaoré avait aussi, tout au long de ses mandats, poursuivi des négociations avec certains groupes armés, visant à sanctuariser le territoire burkinabè. Un processus critiqué, mais qui avait, sans nul doute, permis de préserver l’intégrité territoriale de pays du Burkina Faso.

Face à l’armement des populations civiles, l’inquiétude grandit

Roch Kaboré tente, tant bien que mal, de combler les difficultés de l’armée. Le 6 janvier dernier, il fait adopter une loi par le Parlement autorisant le recrutement de civils volontaires pour assurer la défense des territoires les plus durement touchés. Pour ces supplétifs, recrutés à partir de l’âge de 18 ans, une formation a minima de 14 jours est prévue, comprenant notamment le maniement des armements, la discipline, quelques bases de tactique, des cours théoriques sur le respect des droits de l’Homme, l’éducation civique et morale. Très loin de la formation des militaires professionnels et, surtout, un nouvel aveu de faiblesse pour l’État central. Évidemment, ces nouvelles formations ne bénéficieront pas de la solde réservée aux troupes régulières. Une décision qui interroge dans les rangs de l’opposition burkinabè. « Plutôt que de recruter des civils formés en seulement 14 jours pour les lâcher aux côtés des éléments des forces de défense et de sécurité́ qui, eux, ont reçu 18 mois de formation pour faire le même boulot, pourquoi n’a-t-on pas pensé à faire appel aux trois derniers contingents de l’armée partis en retraite parce qu’atteints par la limite d’âge légale ? » s’interroge Eddie Komboïgo. Preuve des difficultés prévisibles de ces nouveaux volontaires, une dizaine d’entre eux auraient été tués dans la commune rurale de Pobé Mengao, selon une source identifiée sur les réseaux sociaux. Les armes et munitions, abandonnées sur le terrain, auraient été récupérées par les groupes terroristes.

L’institutionnalisation, par la voie légale, de ces civils en arme génère une inquiétude croissante dans le pays. Et pas uniquement pour la faiblesse de leur formation. « On craint qu’ils puissent causer des actes qui ne soient pas recommandables, des règlements de compte, des exécutions sommaires, des rackets » explique Siaska Coulibaly, secrétaire exécutif du réseau des organisations de la société civile pour le développement. « Ces nouveaux volontaires de sécurité lâchés dans la nature, abandonnés à eux-mêmes, sans aucune perspective de réinsertion socioprofessionnelle, iront naturellement grossir les rangs du banditisme », s’inquiète Eddie Komboïgo. Une inquiétude légitime tant le Burkina Faso est d’ores et déjà habitué aux abus de ses civils en arme. Les koglweogo, très actifs depuis 2015, et la chute du régime de Blaise Compaoré, équipés d’armes rudimentaires, se substituent aux autorités d’un État failli et, sans apporter de résistance viable aux djihadistes, multiplient les exactions contre les civils sur fond de tensions interethniques. Les populations peules, assimilées aux djihadistes, font par exemple le frais de la violence des koglweogo.

Au-delà du bilan humain dramatique, les conséquences de l’instabilité sécuritaire du Burkina Faso sont transversales et impactent tous les pans du développement du pays. De l’aveu même du ministre de l’Éducation nationale, le Professeur Stanislas Ouara, la dégradation de la situation dans le pays a entraîné la fermeture de 2 341 établissements, menant à la déscolarisation de 320 000 élèves. Autre conséquence dommageable, une baisse légère de la production aurifère est attendue en 2019, notamment à cause des attaques portées contre les installations minières.

 

 

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