Sébastien Boussois : « Le Mondial au Qatar est déjà un succès »

« La Coupe du monde doit être un moyen, pour le monde arabe, d’être fier de ce qu’il est », estime le politologue Sébastien Boussois.

La Coupe du monde de football au Qatar (21 novembre-18 décembre), la première à être organisée dans un pays arabe, a fait couler beaucoup d’encre. Les autorités qataries ont été montrées du doigt pour le sort réservé aux travailleurs immigrés venus travailler sur les chantiers du Mondial, certaines organisations humanitaires évoquant le chiffre de 6 500 décès. Nos questions à Sébastien Boussois, politologue spécialiste de la région du Golfe.

LMA : La FIFA a révélé, vendredi dernier, qu’elle avait reçu 23,5 millions de demandes de billets pour la prochaine Coupe du monde de football au Qatar. Comment expliquer un tel engouement ?

Il est clair que, vu le nombre de demandes, sachant que les Qataris ne pourront en honorer qu’un million, le Mondial est déjà un succès. Au-delà de la situation politique dans l’émirat, et après la pandémie due au coronavirus, le retour de l’organisation de grands événements sportifs et culturels mondiaux crée un appel d’air dont les gens, un peu partout, avaient besoin. Le football, comme beaucoup d’autres sports, ont été mis sous cloche, et le Qatar, évidemment, profite de cet appel d’air, et du retour de ces grands événements.

Le Qatar, mis au ban des relations régionales par l’Arabie saoudite en 2017, revient petit à petit au centre du jeu diplomatique. Le régime qatari compte-t-il surfer sur la Coupe du monde pour parachever ce retour en grâce — aux yeux des Américains notamment ?

Cela participe du retour du Qatar au cœur du jeu géopolitique, non seulement régional, mais également mondial. Lorsque vous organisez l’un des plus grands événements sportifs planétaires (avec les Jeux Olympiques), il est évident que les projecteurs seront braqués sur vous pendant un mois. Cela jouera en faveur du Qatar, en termes d’image, et donnera un côté joyeux et ludique à la région, trop souvent résumée aux conflits, aux tensions et aux crises qu’elle traverse. Il est évident qu’après l’Exposition universelle de Dubaï, la Coupe du monde qatarie doit être un succès, mais aussi un moyen, pour le monde arabe, d’être fier de ce qu’il est. Car cela reste difficile, pour les pays musulmans, de tirer bénéfice et de donner une image positive de l’ensemble de la région, vu les situations politiques complexes.

Le président de la FIFA, Gianni Infantino, a récemment déclaré que les travailleurs immigrés qui ont participé à la construction des stades retiraient une certaine fierté de leur labeur. Pensez-vous que les critiques adressées aux autorités qataries, pour le traitement de ces travailleurs, les inciteront à faire évoluer leur statut ?

Ce qu’a réussi à faire le Qatar depuis plusieurs mois, c’est de lutter contre beaucoup de désinformation liée aux chantiers de la Coupe du monde, et, plus généralement, autour du projet global du Mondial, aussi bien du point de vue des droits humains que celui des infrastructures. Concernant ce dernier, c’est une réussite totale, avec la construction des stades qui ont vocation à être démontés pour être envoyés dans les pays du tiers monde. Sur le plan des droits des travailleurs, avec le soutien de l’Organisation internationale du travail, c’est un véritable succès, selon moi, car le Qatar est le premier pays du Golfe à produire l’embryon d’un droit du travail qui n’existe nulle part dans la région. Aucun de ses voisins n’a pris le même chemin, et si Doha peut donner l’exemple, cela sera bénéfique pour le reste de la région. La question du droit des travailleurs étrangers est un sujet sensible, et les Qataris ont beaucoup œuvré pour améliorer leurs conditions. Ce qui leur permet aujourd’hui de s’ériger en modèle, d’autant plus que les autorités ont fait progresser sa législation avec le soutien des organisations internationales.

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