Au Yémen, l’enquête du Conseil des droits de l’Homme prolongée d’un an

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03.10.2018

La mission d’experts mandatés par l’ONU doit enquêter sur d’éventuels « crimes de guerre » commis au Yémen.

Le 28 août dernier, la mission d’experts mandatée par le Conseil des droits de l’Homme (CDH) des Nations unies (ONU) rendait son verdict sur le conflit au Yémen. D’après le groupe présidé par le Tunisien Kamel Jendoubi, sur la période allant de septembre 2014 – date du début des combats – à juin 2018, toutes les parties prenantes aux hostilités ont potentiellement commis des « crimes de guerre » dans ce pays de la Péninsule arabique. Où, depuis plus de quatre ans, des rebelles houthistes – chiites, soutenus par l’Iran – combattent les forces armées du président Abd Rabbo Mansour Hadi, réfugié en Arabie saoudite. Celle-ci dirige une coalition de pays arabes, dont font partie les Emirats arabes unis (EAU) notamment, pour épauler l’armée yéménite, et effectue régulièrement des raids aériens sur les positions houthistes.

Vendredi dernier, le CDH a décidé de prolonger d’un an le mandat de la mission d’experts, adoptant par 21 voix sur 47 (avec 18 abstentions) la résolution présentée par les Pays-Bas, et soutenue par le Canada et l’Union européenne (UE) entre autres. L’Arabie saoudite et le gouvernement yéménite, de leur côté, avaient défendu une résolution de la Tunisie qui proposait de charger le gouvernement Hadi de l’enquête sur les potentiels « crimes de guerre ». Depuis un mois, Kamel Jendoubi, mais également la coordinatrice des experts de l’ONU, la Libanaise Roueida el-Haj, étaient les cibles de violentes critiques, sur les réseaux sociaux et dans les médias tunisiens, saoudiens et émiratis notamment. Des « informations déformées », selon M. Jendoubi, qui n’avaient d’autres but de les faire passer pour « des traîtres au monde arabe, vendus aux houthistes, à l’Iran ou au Qatar », seul pays arabe à avoir voté pour le prolongement de l’enquête onusienne. Explications.

Pourquoi l’Arabie saoudite voit-elle d’un mauvais œil la décision récente du CDH ?

Riyad semble de plus en plus empêtrée dans un bourbier au Yémen. De nombreuses voix critiquent l’attitude va-t-en-guerre et irrationnelle du roi Salman et de son fils, le prince héritier Mohamed ben Salman (MBS), à l’origine de l’entrée dans le conflit du royaume, en mars 2015. Les Saoudiens, qui contrôlent le ciel yéménite, pilonnent régulièrement les bastions houthistes, mais causent de très nombreux dégâts parmi les infrastructures et la populations civiles. En août dernier, par exemple, un raid aérien mené par la coalition contre un bus a fait plusieurs dizaines de morts, dont au moins 40 enfants. Malgré les excuses et les promesses de Riyad de punir les responsables et dédommager les familles, il y a peu de chances pour que son mode opératoire évolue.

Bilan : en trois ans et demi, l’Arabie saoudite a conduit 18 000 raids aériens, selon l’organisation Yemen Data Project, sur des bâtiments résidentiels, administratifs, et même sur des célébrations religieuses – comme un mariage. D’après le bureau de la haut-commissaire aux doits de l’Homme, la Chilienne Michelle Bachelet, 4 300 des 6 600 civils tués depuis mars 2015 sont morts sous le feu de la coalition – même si les chiffres exacts restent difficiles à connaître. Il y a quelques jours, dans une note sur la situation des enfants vivant dans les pays en guerre, l’UNICEF s’est alarmée du « mépris croissant pour les règles de la guerre et une violence aveugle », citant le Yémen et ciblant, indirectement, l’Arabie saoudite. Qui a donc tout à craindre du prolongement de l’enquête onusienne.

Y a-t-il d’autres pays mis en cause, de quelque manière que ce soit, dans la guerre au Yémen ?

Si le rapport de la mission d’experts de l’ONU, rendu en août, fait la part belle aux Saoudiens, celui-ci précise bien que toutes les parties prenantes à la guerre en Syrie ont potentiellement commis des « crimes de guerre ». Une accusation valable, donc, pour les membres de la coalition saoudienne – les EAU se livreraient à des actes de tortures dans les centres de détention dont ils ont le contrôle -, les rebelles Houthis, dont Le Monde rapporte qu’ils « sont coutumiers de telles violations, ce que Riyad met volontiers en avant », mais également pour le gouvernement yéménite, accusé – comme les autres parties – d’utiliser des enfants « pour participer activement aux hostilités »« Les enfants sont les plus vulnérables. La pauvreté, associée à la violence et à l’insécurité, les rend sans défense et les expose à l’exploitation et aux abus par les parties au conflit » indiquait fin août Charles Garraway, l’un des membres du groupe d’experts.

Autre pays qui pourrait éventuellement être inquiété pour son rôle – très indirect – dans la guerre au Yémen : la France, en sa qualité de vendeuse d’armes à l’Arabie saoudite, son premier client sur la période 2006-2015. En 2017, l’Hexagone a vendu 1 143 armes à Riyad, pour plus d’1,6 milliard d’euros, d’après le Rapport annuel de la France au titre de l’article 13 du Traité sur le commerce des armes (TCA). Une relation commerciale (trop) étroite qui pourrait valoir à Paris – ainsi qu’à tous les pays, comme les Etats-Unis, l’Allemagne ou encore le Royaume-Uni, qui vendent du matériel militaire aux Saoudiens et aux Emiratis – l’ouverture d’une enquête pour non-respect des textes internationaux qui interdisent la vente d’armes à des pays en guerre. Ces derniers temps, politiques, associations et ONG manifestent de plus en plus pour forcer le gouvernement à reconsidérer sa politique d’exportation d’armements.

Pourquoi le Qatar est-il le seul pays arabe à avoir voté pour la prolongation de l’enquête ?

Depuis près d’un an et demi, Doha et Riyad ont cessé toute relation diplomatique et commerciale. Début juin 2017, l’Arabie saoudite, avec l’appui des EAU, du Bahreïn et de l’Egypte, a mis en place un blocus économique autour du petit émirat, pour le contraindre à cesser ses relations avec l’Iran, la bête noire des Saoudiens. Ces derniers voyaient d’un mauvais œil le rapprochement progressif entre ces deux pays – que sépare le golfe Persique -, alors que le Qatar fait partie, tout comme l’Arabie saoudite, qui en est la patronne de facto, du Conseil de coopération du Golfe (CCG). Si l’on considère la règle de géopolitique internationale selon laquelle « les problèmes de mes ennemis sont mes amis », Doha a voulu ainsi affaiblir son voisin saoudien. D’où les accusations de « traîtrise » au monde arabe portée par certaines personnes sur les réseaux sociaux à l’encontre de Kamel Jendoubi, le patron du groupe d’experts onusiens.

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