« Les travailleuses yéménites ont été initialement plus touchées par le conflit que les travailleurs dans la plupart des régions ».
Inclure davantage les femmes dans les pourparlers de paix et dans les processus politiques post-conflit. Libérer immédiatement tous les enfants soldats de la conscription militaire. Rétablir les salaires dans le secteur public dans toutes les régions du Yémen… Voilà, entre autres, quelques propositions issues du rapport publié le 15 décembre dernier par le Sana’a Center for Strategic Studies, un groupe de réflexion qui cherche à favoriser le changement, via la production de connaissances, au Yémen et dans la région avoisinante.
Selon le document (intitulé « A Gendered Crisis : Understanding the Experiences of Yemen’s War »), qui s’intéresse plus spécifiquement à l’aspect « genré » du conflit, « peu de Yéménites ont été épargnés par l’impact catastrophique de la guerre au Yémen, mais les normes genrées en vigueur signifient que les femmes et les filles, d’un côté, les hommes et les garçons, de l’autre, ont vécu le conflit différemment. » Le think tank d’examiner comment ces normes genrées ont façonné l’ « expérience » du conflit par tous les Yéménites, voire comment le conflit en lui-même a remodelé ces mêmes normes.
« Pire crise humanitaire du monde »
Entre novembre 2018 et février 2019, 88 discussions de groupe ont été menées à travers le Yémen, et 49 entretiens avec des « informateurs-clés » conduits, auxquels s’ajoutent 6 études de cas et une revue littéraire publiés. « Les groupes de discussion comprenaient 674 participants dans 8 districts représentant différents contextes politiques et socio-économiques – à proximité et loin des combats et des deux côtés des lignes de front », renseignent les auteurs du rapport, les chercheuses Fawziah Al-Ammar et Shams Shamsan, ainsi que la journaliste Hannah Patchett.
« Les participants aux groupes de discussion et les informateurs-clés dans tous les domaines ont perçu que les contraintes financières ont poussé les femmes à travailler, et ont eu de graves répercussions sur les garçons et les filles, en termes d’accès à l’éducation et de vulnérabilité à la violence sexiste », selon le rapport du Sana’a Center for Strategic Studies.
Le conflit, qui s’est internationalisé en mars 2015, avec l’entrée en guerre de la coalition saoudienne pour contraindre l’avancée des rebelles Houthis (chiites, soutenus par l’Iran), a complètement miné l’économie du pays. Devenu, selon les Nations unies (ONU), la « pire crise humanitaire du monde », avec pas moins de 7 à 8 millions de personnes risquant la famine. « Avant le conflit, environ la moitié des Yéménites vivaient dans la pauvreté et plus de 40 % étaient en situation d’insécurité alimentaire, rappelle le rapport. Le chômage et le sous-emploi, ainsi que les suspensions de salaires et la dépréciation du rial yéménite, ont entraîné la classe moyenne vers ou dans la pauvreté, et ceux qui y étaient déjà dans le dénuement. » Aujourd’hui, 20 millions de personnes (sur 28 millions) continuent d’être confrontées à une « insécurité alimentaire grave ou aiguë ».
Avec une économie paralysée par la guerre et une situation humanitaire très alarmante, les Yéménites ont été obligés de revoir leurs « coutumes » de travail. Et pas forcément pour le meilleur. « Les participants aux groupes de discussion et les informateurs-clés dans tous les domaines ont noté que les femmes et les hommes avaient navigué différemment dans la nouvelle réalité économique du pays. […] Ils ont perçu que les contraintes financières ont poussé les femmes à travailler, ce qui a eu de graves répercussions sur les garçons et les filles, en termes d’accès à l’éducation et de vulnérabilité à la violence sexiste », selon le rapport du Sana’a Center for Strategic Studies.
Réalité « plus complexe »
Certains observateurs, quant à eux, ont noté des « attitudes masculines plus positives à l’égard du travail des femmes pendant la guerre », affirmant, par exemple, que les hommes recherchaient de plus en plus des épouses qui ont un emploi, contrairement à la tendance d’avant-guerre qui consistait à « rechercher une femme au foyer ». Les réponses s’avèrent toutefois plus mitigées quant à savoir si l’autonomisation économique des femmes élargit leur influence sur la prise de décisions, au sein de la famille, ou si elle durerait au-delà du conflit – « ce qui indique un domaine où le soutien d’après-guerre pourrait être crucial », relève le rapport.
« Proportionnellement, les travailleuses ont été initialement plus touchées par le conflit que les travailleurs dans la plupart des régions. En 2015, l’emploi féminin a diminué de 28 %, contre une baisse de 11 % chez les hommes, bien qu’il y ait eu de fortes variations nationales ».
Celui-ci rappelle d’emblée que les « structures patriarcales et les normes genrées strictes » ont entraîné de nombreuses inégalités, imposant une « discrimnation sociale, juridique, économique et politique » aux femmes, et limitant leur accès à l’éducation, par exemple, tout comme au travail et à la justice. « Les droits des femmes ont régressé sur certains fronts depuis l’unification du Yémen en 1990, la législation conservatrice du nord de la République arabe du Yémen l’emportant sur les lois plus progressistes du sud de la République démocratique populaire du Yémen », indiquent les auteures du rapport.
Un exemple, assez parlant, parmi d’autres : la suppression de l’égalité devant la loi dans la Constitution, en 1994, et son remplacement par « un article décrivant les femmes comme les ‘‘sœurs des hommes’’ ». Cependant, le fait que le Yémen soit considéré comme « le pays le plus inégalitaire au monde pour les femmes » – il occupe le dernier rang de l’indice mondial des disparités entre les sexes depuis 6 ans, peut masquer une réalité « plus complexe », avertissent-elles. « La richesse et la diversité des traditions du Yémen – sur le plan politique, social et religieux – font que les expériences des femmes yéménites ont varié, en partie en fonction de leurs origines géographiques et de leur statut socio-économique ».
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