Face à une économie en berne, Alger pourrait inciter sa jeunesse à entreprendre, dans le secteur du numérique notamment.
L’Algérie fait partie de ces pays qui souffrent de la « maladie hollandaise ». Celle, plus connue sous le terme de « malédiction des matières premières », qui toucha de plein fouet les Pays-Bas dans les années 1960, après la découverte de vastes gisements de gaz dans la province de Groningue (nord-est) et, plus globalement, en mer du Nord. Le pays vit alors ses exportations gazières et les recettes liées exploser, entrainant une appréciation en flèche de la devise néerlandaise, ce qui finit par nuire à la compétitivité d’autres secteurs non gaziers. L’économie nationale, extrêmement dépendante des hydrocarbures pour fonctionner, ne pouvant plus compter sur le reste de son industrie – qui n’avait pu gagner en productivité -, de s’exposer dès lors à la chute des cours mondiaux du gaz ou à l’assèchement des réserves.
Le leitmotiv de la diversification
Cette mécanique vaut également, aujourd’hui, pour l’Algérie – et tous les pays exportateurs d’hydrocarbures -, dont l’économie repose en (très) grande partie sur les revenus tirés du pétrole, mais également du gaz, depuis les années 70 (environ 95 % des exportations algériennes et 33 % des recettes budgétaires). Problème, les cours mondiaux du brut ont connu une forte dépréciation il y a quelques années (- 65 % entre juillet 2014 et février 2016), pour s’établir aujourd’hui à 57 dollars. Ce qui a fait reculer la croissance du pays (2,3 % attendu en 2019 contre 3,8 % en 2014) et entraîné une hausse du déficit public (6 % attendu cette année), de l’inflation (6,7 % en 2019) et du chômage (supérieur à 10 % de la population active). Notamment chez les jeunes (25 % des 18-24 ans) et les femmes (18 %).
Résultat, si le niveau et la qualité de vie en Algérie ont pu progresser, entre le milieu des années 90 et le début des années 2010, il stagne (voire décline) depuis. « Grâce à la rente pétrolière, le pays a fait d’énormes progrès, au niveau national, en termes de construction d’infrastructures, de logements, d’acheminements et gaz, en eau et en électricité. Toutefois, beaucoup reste à faire, notamment concernant les services de santé, qui sont dans un état déplorable », analyse effectivement Brahim Oumansour, chercheur associé à l’Institut de recherches internationales et stratégiques (IRIS) et spécialiste du Maghreb. Ce qui explique notamment les vagues de manifestations inédites en Algérie, depuis 10 jours, appelant à tourner la page Bouteflika, au pouvoir depuis 1999.
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L’actuel chef de l’Etat, qui a annoncé sa candidature à l’élection présidentielle du 18 avril prochain, victime d’un AVC en 2013 qui l’a laissé extrêmement affaibli, personnifie magistralement la « paralysie » des systèmes politiques et économiques algériens, pour reprendre le terme employé par l’International Crisis Group dans un rapport publié en novembre dernier. L’ONG d’estimer, tout comme une grande majorité des institutions financières et organisations mondiales – ceci depuis longtemps -, qu’Alger doit s’atteler pour de bon à la « diversification » de son économie, au même titre que les autres pays exportateurs d’hydrocarbures – Venezuela, Arabie saoudite et Soudan par exemple. Sous peine de connaître une « nouvelle période d’instabilité », voire une « crise économique [dès] 2019 ».
« Devenir un entrepreneur de l’Internet »
S’il existe différentes manières de diversifier son économie, bâtir et développer un secteur privé dynamique reste, semble-t-il, la meilleure solution, alors que la rente pétrolière – et les capacités de l’Etat, par conséquent – s’amenuise en Algérie. C’est ce qu’ont d’ailleurs commencé à faire les autorités algériennes : tandis que 99 % des PME appartiennent au privé, celui-ci produit 85 % de la valeur ajoutée du pays hors hydrocarbures, indiquait Ali Haddad, président du Forum des chefs d’entreprises – l’association patronale qui vise à promouvoir les entreprises en Algérie -, en novembre dernier. Pour aller plus loin, et s’éloigner encore davantage de la rente pétrolière, le gouvernement, selon lui, doit à présent inciter à l’entrepreneuriat, non seulement dans les grandes villes, mais également (surtout ?) dans les territoires.
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Combinée à une politique de soutien à l’économie numérique, cette trajectoire, réalisable grâce à la multiplication des « dispositifs de formation et d’apprentissage [de] nos universités et nos centres de formation », selon ce proche de Saïd Bouteflika, frère du chef de l’Etat, permettrait effectivement (et théoriquement) de solidifier le secteur privé en ramenant la jeunesse, importante en Algérie – où 45 % des 42 millions d’habitants ont moins de 25 ans -, sur le marché de l’emploi. Car « l’un des paradoxes souvent observé dans la région [MENA] est que les jeunes sont connectés aux médias sociaux, mais ils ont néanmoins un accès limité à l’économie numérique, expliquait au Huffpost Algérie Rabah Arezki, économiste en chef de la Banque mondiale pour la région Moyen-Orient et Afrique du Nord, en mars dernier. Les systèmes financiers sont appelés à être améliorés afin de permettre [à un Algérien] de devenir un entrepreneur de l’Internet », estimait-il ainsi.
A charge pour les autorités, franchement réticentes à l’endettement extérieur (1), de « jouer » avec le budget de l’Etat, qui fait la part belle, en 2019, aux dépenses de fonctionnement (5 000 milliards de dinars) au détriment de l’investissement (3 600 milliards de dinars), à cause des dépenses de sécurité notamment. Outre une répartition peut-être plus judicieuse – quoi que délicate – de l’allocation des ressources publiques, ainsi que la sensibilisation et la formation des jeunes à l’entrepreneuriat – qui commencent à se mettre en place -, l’Algérie doit surtout améliorer l’accès de ses citoyens à Internet, qui disposent de l’une des pires couvertures 4G au monde. En 2014, déjà, la Banque mondiale révélait que « l’Internet haut débit peut modifier radicalement les perspectives socioéconomiques de la région [MENA] et contribuer à une croissance accélérée et à une prospérité partagée ». Ainsi qu’à la fin de la « maladie hollandaise » en Algérie ?
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(1) En 2016, Alger a tout de même contracté un prêt de 900 millions d’euros (121 milliards de dinars) auprès de la Banque africaine de développement (BAD), afin d’alimenter son Programme d’appui à la compétitivité industrielle et énergétique (PACIE), à travers lequel elle s’est engagée à « améliorer le climat des affaires » et « promouvoir les entreprises nationales [afin de] les rendre plus compétitives ».
