Hymne à l’Égypte contemporaine : rayonnement et défis intérieurs

« Cette crise générale, protéiforme, est peut-être avant tout le procès ultime du média, celui qui nomme à la hâte l’ennemi ».

Le lecteur raisonnablement curieux — ou le téléspectateur moyen sous emprise — se fiant au tableau de l’Égypte contemporaine dépeint par les petits agents belliqueux de l’appareil médiatique français, devrait pouvoir, en toute logique propagandiste primaire, parler à ses semblables — encore moins vaillants ou trop dangereusement naïfs — du pays comme de celui où une sorte de Général Tapioca silencieux et autocratique, s’il ne s’emploie à l’incarcération systématique des homosexuels et des « défenseurs des droits de l’Homme » pour le maintien de son règne illégitime, mobilise avec un entrain douteux ses troupes armées en vue d’atomiser dans le désert quelques barbus zélés qui ont malencontreusement basculé dans le djihadisme le plus niais, faute d’avoir été écoutés à un moment ou un autre de leur misérable vie…

Il ne s’agit aucunement de généraliser de façon hâtive et délictueuse des faits dont aucun être normalement constitué n’oserait se réjouir, et nous n’avons pas à prendre parti, ni pour l’un ni pour l’autre des discours au cœur d’un dilemme idéologique à la binarité puérile, mais soyons en tout cas intransigeants envers le journaliste inculte et malhonnête qui, par paresse intellectuelle ou militantisme déguisé, ne manquera jamais l’occasion d’esquinter toujours un peu plus l’image politique d’une si grande nation. Venez donc fouler cette terre que vous polluez lâchement de mots lointains et venimeux. Vous rendez-vous seulement compte, par votre indigence éthique et structurelle, du préjudice que vous portez à l’intégrité des gens ?

Que l’on fasse taire les « défenseurs des droits de l’Homme » ou les « homosexuels » ne semble pas incohérent dès lors que ceux-ci entendent se présenter comme de bruyants agitateurs sociaux dont le prosélytisme aveugle et l’arrogance communautariste s’avèrent trop nuisibles à l’équilibre fragile et laborieusement acquis de la nation. Les uns et les autres étant largement tolérés, il n’y a qu’à connaître la place des mœurs et la respecter. Pour le bien commun, avec l’effort de modestie et de lucidité demandé équitablement à chacun des membres de la collectivité, non ?

D’ailleurs la plupart s’en accommodent tout à fait ; la reconnaissance publique du droit à la sodomie n’étant concrètement que l’affaire frivole de bourgeois désœuvrés… Au pire celui-ci s’arroge-t-il clandestinement, dans le secret des chaumières… Personne a priori ne daignerait y voir là quelque scandale. Pourquoi l’intimité des uns et des autres devrait-elle nécessairement alimenter la tribune politique du modernisme ? L’on pourrait effectivement reprocher à cette aberrante entreprise quelque motivation tout à fait malsaine. L’abeille ne pique que si on l’agresse. Quand il lui arrive de le faire, c’est uniquement pour prendre la défense de la ruche, toujours dans l’intérêt de la colonie. Une certaine conception de l’autorité — ou de la solidarité, selon le point de vue — qui échapperait peut-être, effectivement, aux enfants gâtés de la « démocratie »…

Alexandrie, Corniche

Fable des droits de l’Homme

Quant à vouloir offrir au barbare afro-asiatique « les droits de l’homme » dans toute leur radicalité et leur apparat occidental, il y a là, anthropologiquement, un contre-sens des plus maladroits. Ces militants tapageurs d’un prétendu « progrès social » (qui emprunte en réalité — tel le félon avare ou la grand-mère aux crocs acérés de la fable — le nom de son contraire) seront certainement déçus d’apprendre, si tant est qu’ils soient pourvus de facultés d’écoute et d’observation à peu près intactes, que la plupart des gens n’ont cure de telles futilités universalistes à tendance néocolonialiste, du moment qu’on leur assure le respect, un emploi viable et une protection sanitaire raisonnable. Le reste, encore une fois, est strictement affaire d’intimité.

Qu’ils cessent d’entretenir de fausses priorités. Et d’extrapoler à tout-va, avec la démagogie universitaire du bon petit mercenaire libéral ou de l’« humanitaire » de l’exotisme — idiot utile des crimes et magouilles profondes des ONG en terre de vulnérabilité —, les thèses progressistes les plus ineptes, qui ne sont bien souvent que le loisir égotique de quelques privilégiés factieux sans imagination. Car les réalités sociales varient : elles sont locales avant d’être universelles.

Ces pratiques aveugles et désespérées de communication — qui sont malheureusement le lot de tous ceux dont la violence subie ou la propagande médiatique et culturelle ancestrale a savamment ôté le sens critique et intuitif des choses — pourraient s’apparenter au malheur de la prostitution : le drame de nos sociétés modernes, capricieuses et ultra-virtualisées, est qu’aux ambiguïtés naturelles et laborieuses du désir ont dû se substituer, sans doute par manque constitutif d’ambition ou de patience, les lois pathologiques et arrangeantes de l’offre et de la demande. Jusqu’aux plus navrants des scénarios. L’économie de marché de l’amour et de la reconnaissance.

Sauvons ce qui peut l’être de cette arnaque fonctionnelle et meurtrière, sans pour autant sous-estimer les facultés de résilience collective de l’humanité ; l’expérience du coronavirus apparaissant en cela comme une leçon radicale de sursaut immunitaire et citoyen. Charité bien ordonnée commence par soi-même. Car il semble désormais indispensable, vu la détresse affective de nos sociétés dites « développées », de ne plus perdre de vue ce mobile comportemental des plus basiques et sensés, si malmené — par des décennies d’ingénierie soixante-huitarde, anti-puritaine et consumériste — qu’il paraît aujourd’hui subversif : quels modèles, par nos choix et nos actes personnels, entendons-nous offrir à nos enfants ?

À y regarder de plus près, les prétendus « conservatisme », « traditionalisme », « rigorisme » ou même — plus absurde encore — « antisémitisme » moyen-orientaux ne constitueraient en fait que le champ lexical grossièrement défensif, fondamentalement malhonnête, d’une caste culturelle totalitaire, cherchant plus ou moins habilement à légitimer tous les champs minés de sa perversité dominatrice en y apposant le sceau criminel et médiatique du « progrès social » concernant les affaires intérieures ou celui de l’« ouverture » (qui n’est autre, à long terme, que celle du vice) concernant les affaires extérieures, et dont les quelques parades d’autorité nominaliste énoncées ci-dessus, on ne peut plus lâches et expéditives, suffiraient à intimider le commun des mortels qui interrogerait le bien-fondé d’un tel procédé… Pourquoi s’en priver ? La question se poserait différemment si la loi — c’est-à-dire la sienne — devait nous en interdire…

Alexandrie, port

De l’exercice périlleux du pouvoir

C’est à nous, amoureux de l’Égypte réelle, de rendre solidairement compte de la bonté d’un peuple uni et la richesse multiple de cette civilisation des plus nobles et productives, plutôt que d’encourager la dénonciation mesquine des éventuelles défaillances et maladresses d’un gouvernement qui sauve comme il le peut les meubles funéraires des pillards déguisés du monopole bancaire et financier, suite aux différentes vagues de troubles socio-économiques qu’il a dû patiemment essuyer depuis de trop nombreuses années maintenant.

L’exercice du pouvoir n’est pas celui de l’entrepreneur ou de l’apôtre : il demande du temps, de la prospective, de l’esprit de synthèse et une certaine intelligence populaire s’il entend réellement durer, en un jeu de renseignements et d’acrobaties diplomatiques où bien souvent l’argent — reçu ou à prendre —, sinon le chantage, supplante malheureusement les idées ; ce que refusent visiblement d’admettre, victimes de leur zèle monomaniaque et leur narcissisme sanguinolent, le petit trublion libertaire de place publique comme le journaliste, seuls opposants connus — l’un par ses cris grossiers et irresponsables, l’autre par sa méconnaissance de l’équation nationale sur la carte des enjeux extérieurs — à la paix sociale.

Car le journaliste malhonnête, par l’exercice incomplet et précipité — sinon prétentieusement partisan — de son art douteux, est certainement autant responsable de la crise touristique égyptienne que le kamikaze islamiste lui-même. Nous n’avons pas à choisir entre deux images, deux représentations, celle du « méchant » Sissi ou du héros Salah, celle du visage buriné d’un fellah ou de la berline rutilante d’un petit prince du pétrole. La geôle ou la sodomie. L’internationalisme du pauvre ou les bondieuseries de mise. L’Égypte, ça n’est pas cela. Pas plus que le malheur obligatoire des enfants ou l’hystérie et la décadence aristocratiques de l’Immeuble Yacoubian… L’Égypte est bien plus profonde que cela.

Écoutez-la, dans les remous enchanteurs du Nil, dans le ressac langoureux de la Mer Rouge, dans celui, plus nerveux, de l’entraînante Méditerranée ; dans les sacrifices et caresses de Siwa, dans la nuit secrète et colorée de Louxor, écoutez-la, dans la rudesse et la langueur combinées des voix de jeunes chanteurs, loin des klaxons du Caire et d’Alexandrie, dans l’écho lointain des coups de pioche solitaires et des scies de ferronniers appliqués.

L’Égypte est multiple, insaisissable, pleine d’esprit, de vivacité et d’imagination. Il vous revient de la connaître, l’étudier, la subir parfois, d’apprendre ses codes, ses humeurs, humblement, discrètement, pas à pas, pour espérer percer ses mystères les mieux gardés. Certes vous la saurez irritante, bornée, maniaque, roublarde ou indisciplinée mais jamais traîtresse. Ni mauvaise.

Guizeh, sur les hauteurs

La main qui nourrit

On le sait, la crise sanitaire et l’incertitude régnante porteront un énième coup, succédant aux turbulences révolutionnaires, terroristes et monétaires de la dernière décennie, à l’industrie touristique, vitrine de l’économie égyptienne ; le risque étant celui d’une éternelle dépendance financière aux puissances atlantistes ou même arabo-persiques — notamment en vue d’assurer la construction de la nouvelle capitale administrative Wedian, dont le projet pharamineux date de la présidence de Sadate au début des années 1970 — qui orienterait immanquablement le pays dans des choix et compromis politiques trahissant à long terme sa souveraineté nationale autant que son influence moyen-orientale.

Quand, à l’occasion d’un entretien accordé au New York Times en septembre 2012, le président Morsi — dont le communautarisme et la liberté de ton lui auront été rapidement fatals — estime que les États-Unis devraient « changer fondamentalement leur approche du monde arabe en montrant un plus grand respect pour ses valeurs, et aider à construire un État palestinien s’ils veulent surmonter des décennies de colère refoulée », c’est bien qu’il avoue, à demi-mot, vouloir se défaire d’une certaine emprise atlanto-sioniste qui pèse de plus en plus sur le pays…

Surveillons par ailleurs l’évolution de ce wahhabisme du pauvre, chargé de ressentiment et d’un militantisme sourd, qui gagne de plus en plus de terrain ici et là en Égypte, celui-ci se nourrissant volontiers d’un islamocentrisme — dont on sait que l’inculture est la plus meurtrière des armes — aux airs connus… La référence est familière : il paraît loin, le temps où l’illustre Nasser se moquait publiquement du port obligatoire du voile voulu par les Frères musulmans… Au point que certaines jeunes femmes orthodoxes hésitent aujourd’hui à sortir sans. Bref, il semblerait que le manque d’humour — si tant est que l’on soit sensible à celui du Raïs — puisse également s’avérer redoutablement politique…

Temple d'Hatchepsout, Louxor

L’Égypte en chantier

Dans l’attente de la réouverture des frontières, l’on pourra toujours se contenter de visites virtuelles — faisant miraculeusement fi des selfies névrotiques d’Extrême-Orient et des bedaines teutonnes lestées de bière pharaonique — du tombeau de la reine Mérésânkh III à la nécropole de Gizeh : https://my.matterport.com/show/?m=d42fuVA21To ; de la mosquée du sultan Barquq au Caire : https://my.matterport.com/show/?m=bN9MbB6cdzi&mls=1 ; ou encore du Monastère Rouge de Sohag : https://my.matterport.com/show/?m=Yyw1F5eGxxZ&mls=1.

L’occasion de rappeler la diversité et l’étendue d’une civilisation à l’équilibre complexe — dont le multiculturalisme précurseur et ambitieux, basé sur l’échange amical de savoirs, la coopération et la production, se trouve aujourd’hui écrasé par celui de la violence, de la misère et du désœuvrement, en un flux migratoire insensé et anarchique voulu par le projet atlantiste, échappant heureusement à une Égypte qui sait encore rendre ses citoyens fiers et reconnaissants à la patrie —, ou comment le « vilain » maréchal Sissi, par exemple, a courageusement œuvré — avec le concours de nombreuses associations locales entre autres — en faveur d’une réconciliation publique entre coptes et musulmans.

L’Égypte est un pays en chantier, et il est passionnant d’imaginer ce travail de renaissance et de quête identitaire moderne. Ce qu’on n’enlèvera pas aux Égyptiens, c’est leur admirable folie des grandeurs. Ils s’en inspirent, tous les jours, devant la résistance, la démesure et l’incroyable minutie des temples antiques qui émerveillent les touristes du monde entier et sont avant tout de précieux témoignages de transcendance collective. Il en faut, du courage, pour fédérer les âmes fières et volontaires, toutes classes ou origines confondues, d’une société aux contrastes vertigineux, et ne laisser personne sur le carreau, dans ce projet exaltant de Nouvelle Égypte.

C’est avec exigence et une confiance globale à regagner stratégiquement, en son agriculture, son industrie, ses ports, en son école publique et ses universités, en sa langue, sa spiritualité, en son savoir-faire, son artisanat et naturellement en son patrimoine qu’elle y parviendra. C’est aussi sur la base — comme elle l’a pratiqué dans son histoire récente avec l’Angleterre, la France, l’Allemagne, l’Italie, la Grèce ou la Russie entre autres — de véritables échanges culturels, scientifiques et commerciaux avec la « vieille » Europe, débarrassés de toute ingérence opaque ou contrainte lobbyiste, qu’elle pourra prétendre à s’enrichir réellement, durablement.

Il est certain que le peuple — que constituent les couches intermédiaires en péril et la petite bourgeoisie mégalopolaire ou périphérique — supporterait difficilement une nouvelle offensive de déclassement par la dévaluation monétaire et une hausse des prix des produits de première nécessité. Tandis que solliciter l’aide de tiers reviendrait à de nouveaux sacrifices identitaires… Tout le monde devrait avoir en tête la situation libanaise actuelle, que les mesures de confinement obligatoire auront redoutablement paralysée.

Chantiers navals, Safaga

Revalorisation nécessaire de l’école publique

Dans cette perspective ambitieuse d’émancipation, il semblerait que l’éducation se présente, à moyen et long terme, comme l’un des défis nationaux majeurs. Les apprentissages de l’école ne pourront en effet que s’avérer déterminants dans l’architecture sociétale, économique mais aussi écologique de cette jeune et nouvelle Égypte.

Il s’agit prioritairement d’encourager et revaloriser durablement l’enseignement public en l’enrichissant d’infrastructures de qualité, de pédagogies modernes, diversifiées et indépendantes, et non plus en y substituant systématiquement un enseignement privé et élitiste, qui trop souvent fait le jeu de l’internationalisme destructeur et anti-autarcique de payeurs occidentaux ou d’affairistes locaux mégalomaniaques aux manières plus mafieuses que didactiques. L’éducation est, aujourd’hui plus que jamais, éminemment politique.

En ce sens, ne conviendrait-il pas de reconsidérer justement la place inquiétante occupée par la langue anglaise — sans doute l’un des premiers vecteurs d’inégalités professionnelles chez les jeunes —, omniprésente dans l’enseignement supérieur et la sphère mondaine du secteur tertiaire comme dans la communication citadine ou le monde de la culture ? Si elle semble l’apanage de la nouvelle bourgeoisie en mal de reconnaissance internationale, les touristes motivés n’auraient aucune difficulté, en tous les cas, à se faire comprendre ; l’arabe égyptien s’avérant tout aussi abordable et musical !

Si l’Égypte peut également se féliciter d’une certaine culture du sport (celle-ci s’étant à nouveau admirablement illustrée lors des derniers Jeux Africains à Rabat), c’est aussi la démocratisation de la pratique et l’accès facilité aux clubs (pour la plupart réservés aux familles aisées et fonctionnant sur le modèle archaïque anglais et socialement discriminatoire de cooptation) qu’il paraîtrait judicieux d’engager pour les années à venir, en vue de l’application d’un principe stratégique fondamental dans la mise en œuvre d’un certain national-socialisme (au sens non-génocidaire du terme !) nassérien : l’égalité des chances, plutôt que « l’égalité [fallacieuse] des droits ».

Car la forte croissance démographique ne fera qu’accentuer toujours plus les contradictions culturelles entre Basse- et Haute-Égypte (l’affaire n’est pas nouvelle, elle date de 5000 ans !), alimentant davantage une tension interclasse qui, sans effort transparent de communication publique, risquerait d’en léser et contrarier beaucoup si elle n’était désamorcée à temps par une démarche courageusement fédératrice plutôt que dangereusement oligarchique, aussi maladroite ou bien intentionnée puisse-t-elle être.

Glim, Alexandrie

Glissement sémantique

La crise « sanitaire » que nous vivons marque indiscutablement la fin d’une période : celle des ravages du mensonge, du lobbyisme et de la mauvaise foi journalistiques. La science et le sensus communis des uns semblent enfin reprendre le pas, lumineusement, sur l’inculture et l’arrogance des autres. Cela, grâce au travail de fourmi (ou d’abeille), au sacrifice, à l’indépendance acharnée ou à la seule humilité de gens de bonne volonté, qui n’ont jamais eu honte de leur exigence, engagés de leur optimisme pratique, de leur créativité et de leur savoir-faire pour le bien commun de la nation et la santé de l’humanité. Nous voilà tous à présent agents de contre-propagande, non pas pour prêcher péremptoirement l’unique et sacrale vérité, colporter de nouveaux dogmes et croyances assujettissants, mais au moins pour exposer solidairement une vérité plurielle, subtile, nuancée et complexe, soumise à la libre interprétation de chacun pourvu qu’il soit animé d’intentions bienveillantes envers le plus grand nombre : c’est ce qu’on pourrait appeler, assez paradoxalement, la conscience de soi.

Oui, cette crise générale, protéiforme, est peut-être avant tout le procès ultime du média, celui qui nomme à la hâte l’ennemi, le fabrique, terrorise, rabaisse, borne, pollue, encense le parasite, méprise le preux et déclenche les guerres. Elle sonne le glas de la dictature du nominalisme : pour connaître les choses, les gens se passeront désormais des services d’informateurs au sourire tout professionnel. Et si les « dictatures » n’étaient pas nécessairement celles que l’on croyait ? Comment reconsidérer ce que l’on présentait jusqu’alors, avec le totalitarisme d’une appellation fallacieuse, la « démocratie » ? Ne serions-nous pas les victimes d’un vaste et lent glissement sémantique ?…

De la même façon, le bon parent — c’est-à-dire le parent responsable — est-il celui qui applique consciencieusement les injonctions officielles d’État en protégeant son enfant du coronavirus par un confinement total de huit semaines, ou bien celui qui sous prétexte d’une menace volatile planétaire n’aura pas hésité à le séquestrer soixante longues journées en le privant d’air, de lumière, de vie sociale, de terrain de jeu et d’instruction, sur ordre absolu du gouvernement ? La démocratie d’aujourd’hui pourrait-elle être la dictature d’hier ? Les « fake news » seraient-elles les seules « real news » ? Voyez comme il est essentiel de pratiquer la gymnastique de l’esprit critique…

Alors, du télétravailleur citadin sous anxiolytiques — épuisé des caprices, de l’insolence et de l’ennui de sa progéniture confinée — ou du cultivateur amusé de la vallée du Nil et de la Loire, pour lequel le coronavirus n’est autre qu’une énième et lointaine légende urbaine, qui serait le plus responsable ? Interrogeons donc les enfants. Eux ne mentent pas. Et demandons-leur par la même occasion, en toute sérénité, à qui profite l’activité du cultivateur ? Et celle du télétravailleur ?

Espérons seulement que les affranchis osent sacrifier leur paresse naturelle — que la besogne excuse volontiers —, leur orgueil et leurs pauvres commodités virtuelles pour s’intéresser aux livres, à la science réelle, aux témoignages oubliés, aux récits des soldats, des stratèges et à la parole de tous ceux qui font le monde, dans l’ombre du petit théâtre médiatique, patiemment, concrètement et courageusement, de ceux qui n’ont jamais attendu aucune leçon de bien-pensance ou de rébellion pour mesurer les bénéfices humains immédiats de leurs faits d’armes, modestes ou non.

Crédits photos : Rorik Dupuis Valder

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