Si le débat sur le commerce des armes avec des pays en guerre ne date pas d’hier, il prend cependant de plus en plus d’importance.
L’Espagne montre-t-elle la voie ? Le royaume vient tout juste de renoncer à une vente de 400 bombes à guidage laser à l’Arabie saoudite, selon la radio Cadena SER. Une information confirmée mardi de manière laconique par le ministère de la Défense. Le gouvernement espagnol (socialiste), en place depuis le mois de juin, avait engagé en juillet une procédure pour annuler le contrat signé à l’été 2015 par l’équipe précédente (conservatrice). Madrid devrait par conséquent rendre les 9,2 millions d’euros déjà payés par Riyad pour l’obtention de ces armes.
L’annonce intervient alors que la secrétaire d’Etat au Commerce, Xiana Mendez – dont dépendent les contrats d’armement -, recevait des ONG engagées contre la vente d’armes à l’Arabie saoudite. Parmi celles-ci, Amnesty International, Greenpeace et Oxfam, qui ont mené campagne pour forcer le gouvernement à annuler le contrat. Intitulée « Armes sous contrôle », elle a recueilli plusieurs « milliers de signatures de personnes s’opposant à la vente d’armes à l’Arabie saoudite » indique Oxfam sur son site Internet.
« Quatrième fournisseur d’armes »
Le royaume saoudien dirige depuis plus de trois ans une coalition militaire au Yémen. Ceci pour venir en aide au gouvernement d’Abd Rabbo Mansour Hadi, exilé en Arabie saoudite et opposé depuis quatre ans aux rebelles houthistes – soutenus par l’Iran, la bête noire du régime saoudien. Riyad est à ce titre souvent pointée du doigt pour les frappes aériennes qu’elle mène et qui tuent la plupart du temps plus de civils que de cibles militaires. En août dernier, par exemple, la coalition a mené plusieurs raids et frappes aériens qui ont fait plusieurs dizaines de victimes. Dont plus de 60 enfants. Et, la semaine dernière, la mission d’experts mandatés par le Conseil des droits de l’Homme des Nations unies (ONU), de révéler qu’entre septembre 2014 et juin 2018, toutes les parties au conflit yéménite – dont l’Arabie saoudite, donc – s’étaient rendues coupables de « crimes de guerre ».
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Alors que le Conseil de sécurité de l’ONU a appelé à une enquête « crédible et transparente » sur le carnage du mois d’août, Madrid se devait de rompre ses accords commerciaux avec les Saoudiens, estiment les ONG. « L’Espagne est le quatrième fournisseur d’armes et de munitions de l’Arabie saoudite. Ce pays mène la guerre contre le Yémen, un pays qui connait la pire crise humanitaire du moment. De plus en plus de gens refusent d’être complices des atrocités de la guerre et, pour cette raison, nous avons une occasion unique de changer les choses » selon Oxfam. Qui poursuit : « Chaque jour, des millions de personnes sont forcées de fuir leur foyer [à cause] des conflits armés. Il est fondamental d’agir contre la vente d’armes pour arrêter de nourrir les guerres. »
Suivre l’exemple de l’Espagne
Si le débat sur le commerce des armes avec des pays en guerre ne date pas d’hier, il prend cependant de plus en plus d’importance. En mars dernier, Amnesty International dévoilait par exemple le contenu d’une étude juridique d’après laquelle la France, l’un des plus gros vendeurs d’armes à l’Arabie saoudite, pourrait éventuellement se rendre « complice de crimes de guerre ». « Il ressort de la présente étude un risque juridique élevé que les transferts d’armes soient illicites au regard des engagements internationaux de la France » indiquaient à l’époque les auteurs de l’étude. Autrement dit : si les autorités françaises avaient connaissance des violations du droit international commises au Yémen au moment des ventes d’armes, elles ont violé les dispositions du Traité sur le commerce des armes (TCA) de 2014, notamment.
« Le TCA est un ensemble de règles internationales. Il vise à empêcher que les armes ne tombent entre de mauvaises mains et ne servent à commettre des atrocités, telles que des crimes de guerre. La France l’a signé et ratifié. […] A ce jour, la France continue de faire la sourde oreille aux souffrances des civils et reste muette sur ses ventes d’armes. Pire, le gouvernement refuse tout débat sur le sujet, quitte à violer les règles internationales » indiquait Aymeric Elluin, responsable Plaidoyer chez Amnesty International France, fin août dernier.
L’ONG d’appeler ainsi depuis plusieurs mois la France à suspendre toute livraison militaire à destination de la coalition saoudienne. Et suivre ainsi l’exemple de l’Espagne. Mais également de la Suède, du Canada, de la Finlande ou encore de l’Allemagne, qui ont arrêté leurs exportations d’armes à cette dernière. Selon le dernier rapport parlementaire de la Défense sur les exportations d’armement de la France, publié en juin 2018, Paris a attribué en 2017 176 licences à des entreprises françaises pour l’Arabie saoudite. Ce qui représente des contrats d’une valeur globale de près de 13 milliards d’euros – en légère baisse par rapport à 2016. Sur la période 2007-2017, Riyad est ainsi le deuxième plus gros client de la France, après l’Inde, en termes de ventes d’armes.
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