Au cours de l’entretien, diffusé dimanche 6 janvier, la chaine américaine aborde des sujets sensibles, comme celui des prisonniers politiques.
CBS diffusera bien l’interview d’Abdel Fattah al-Sissi, dimanche 6 janvier au soir. L’entretien, réalisé par la chaine américaine avec le président égyptien, date de septembre dernier, alors que celui-ci se trouvait à New-York pour l’Assemblée générale des Nations unies (ONU). Mais devant le caractère ultrasensible de certaines questions, l’ambassade égyptienne aux Etats-Unis avait immédiatement mis son veto et exigé que l’entretien demeure secret. Sans succès donc. Parmi les thèmes abordés par Scott Pelley, journaliste pour l’émission 60 Minutes : l’emprisonnement d’opposants politiques, le massacre de 800 civils par l’armée égyptienne, les relations serrées (et taboues) entre Le Caire et Tel-Aviv… On comprend pourquoi les Egyptiens souhaitaient que l’interview reste dans les cartons.
60 000 prisonniers politiques
Dès la bande-annonce, le ton est donné. « C’est un citoyen américain. En 2015 il a été condamné à la prison à vie pour avoir propagé de fausses informations. Informations qui contrariaient en réalité [Abdel Fattah al-Sissi] », dit une voix masculine, alors que l’on voit à l’écran une paire d’yeux derrière une lourde porte en fer. Il s’agit de Mohamed Soltan, un avocat spécialiste des droits humains, arrêté en 2013 – avant de regagner les Etats-Unis deux ans plus tard. D’après Human Rights Watch (HRW), le président égyptien, ancien général de l’armée, détiendrait ainsi 60 000 prisonniers politiques dans les geôles du pays, afin de maintenir son régime en place notamment. De son côté, le département d’Etat américain estime que les milieux carcéraux égyptiens connaissent de nombreux meurtres et actes de torture. Aussi bien aujourd’hui qu’avant l’arrivée d’Al-Sissi à la tête de l’Etat en 2014.
« Je ne sais pas où ils ont eu ce chiffre. J’ai dit qu’il n’y a pas de prisonniers politiques en Egypte. Chaque fois qu’une minorité tente d’imposer son idéologie extrémiste, nous devons intervenir quel que soit le nombre de ses membres », répond le président égyptien au sujet des 60 000 détenus politiques.
« Massacre de l’été 2013 »
Alors qu’il occupait le poste de ministre de la Défense, en 2013, Abdel Fattah al-Sissi aurait également donné l’ordre de tirer sur une foule, au Caire, rassemblée pour protester contre sa prise de pouvoir forcée et l’éviction du président de l’époque, Mohamed Morsi (Frères musulmans), élu en 2012. Le principal intéressé continue de nier toute responsabilité personnelle. Il répond même au journaliste de CBS : « Il y avait des milliers de personnes armées dans le sit-in. Nous avons essayé par tous les moyens pacifiques de les chasser ». Avant d’avoir recours aux armes donc. Bilan des répressions : plus de 1 400 morts – dont 817 sur la seule place Rabaa, selon HRW. En août dernier, cinq ans après les faits, Amnesty International, entre autres, regrettait que « les autorités égyptiennes n’aient encore amené personne à rendre des comptes », tout en soulignant « la crise sans précédent que connait le pays sur le terrain des droits humains ».
« Le régime du président Abdel Fattah al-Sissi est désireux d’effacer tout souvenir du massacre de l’été 2013, même si le spectre de cet événement continuera à planer sur son gouvernement », a déclaré Najia Bounaim, directrice du travail de campagne sur l’Afrique du Nord à Amnesty International, en août 2018.
« Le rejet d’Israël »
Dernier sujet sensible abordé lors de l’interview : la coopération entre l’Egypte et Israël, en matière de lutte antiterroriste notamment, extrêmement taboue. Depuis près d’un an, Le Caire combat une branche locale du groupe Etat islamique (EI) dans le nord de la péninsule du Sinaï, frontalière avec l’Etat hébreu, et a déjà autorisé Tel-Aviv à frapper les positions djihadistes par voie aérienne, selon CBS. Alors que les Egyptiens démentent régulièrement entretenir des relations avec leurs voisins, Abdel Fattah al-Sissi a reconnu, lors de son entretien : « Nous avons un large éventail de coopération avec les Israéliens ». Après quoi « l’ambassadeur d’Egypte a contacté l’équipe de 60 Minutes […] pour lui dire que l’interview ne pouvait pas être diffusée », indique la chaine américaine sur son site.
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Les relations diplomatiques entre les deux pays ont officiellement débuté en 1980, un an après le traité de paix israélo-égyptien soldant la guerre israélo-arabe de 1948. Seulement, il s’agit d’une « paix froide », selon l’expression couramment employée ; de nombreuses tensions ont pu apparaître au cours des 40 dernières années, comme en 2003, lorsque des drones de l’armée égyptienne ont violé l’espace aérien israélien et survolé des centres de recherches nucléaires. Et, globalement, la population égyptienne a du mal à accepter le sort réservé par Tel-Aviv aux Palestiniens. Ainsi, tandis que « plus de 65 % de la population égyptienne est née après la période de guerre entre Israël et l’Egypte et les accords de Camp David, selon les chiffres officiels, […] le rejet d’Israël est une constante », indiquait l’AFP en septembre dernier. D’où la fébrilité des autorités égyptiennes, après les déclarations d’Abdel Fattah al-Sissi à CBS, concernant la coopération entre les deux pays…

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