« Les problèmes de l’économie tunisienne sont de type structurel »

Pour Aram Belhadj, docteur en sciences économiques, la Tunisie a besoin d’une feuille de route claire.

L’économie tunisienne fait pâle figure. La dette publique et le déficit commercial, pour ne citer qu’eux, atteignent des niveaux inquiétants. En novembre dernier, la première s’élevait à 67,256 milliards de dinars (22,733 milliards d’euros), soit 69,5 % du PIB. Quant au second, il devrait atteindre 15 milliards de dinars (5 milliards d’euros) pour 2017. Pendant ce temps, la devise tunisienne a dévissé face à l’euro, perdant environ la moitié de sa valeur en quatre ans, et les Tunisiens sont soumis, depuis le vote de la loi de finances 2018, à l’austérité.

Aram Belhadj est docteur en sciences économiques de l’université d’Orléans et actuellement enseignant à l’université de Carthage. Il revient pour Le Monde arabe sur la crise économique qui frappe la Tunisie et les solutions existantes pour en sortir.

Pourquoi la Tunisie ne progresse-t-elle pas sur le plan économique ? 

Cette question me renvoie à la citation d’Albert Einstein : « La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent ». C’est exactement pareil en économie : vous ne pouvez pas avoir de bons résultats alors que vous continuez d’adopter les mêmes choix, de mener les mêmes politiques et de retarder à chaque fois les réformes requises.

Personnellement, je continue toujours de considérer que le problème de la Tunisie est avant tout politique – beaucoup plus qu’économique. La sortie de l’auberge ne pourra être effective qu’une fois la vision de moyen et long terme identifiée, les pratiques de bonne gouvernance initiées et les politiques économiques appropriées mises en œuvre.

Que voulez-vous dire ?

Déséquilibres macroéconomiques importants, réformes structurelles en gestation, chômage, inégalités, cherté de la vie, dépréciation de la monnaie et prolifération de la corruption et de la contrebande ne sont, de mon point de vue, que le résultat d’un échec politique patent. Par conséquent, le jour où nous aurons une équipe gouvernante homogène, disposant d’une vision claire et structurée, avec un plan d’action détaillé et surtout en totale accord avec les acteurs concernés (Assemblée des représentants du peuple, syndicats, société civile) sur les choix et les priorités, nous pourrons espérer une sortie de cette situation économique difficile.

Comment faudrait-il alors s’y prendre ? 

Il faut noter de prime abord que les problèmes de l’économie tunisienne sont de type structurel et qu’il est évident que les solutions ne peuvent être conjoncturelles. La logique de la gestion « au jour le jour » ne marche pas puisqu’elle ne fait que repousser ces problèmes.

A ce niveau – et encore une fois -, il faut avant tout une feuille de route accréditée par une bonne majorité afin de pourvoir sortir le pays de cette situation de stagnation. Dans ce cadre, un dialogue politico-économico-social est plus que nécessaire afin de pouvoir déterminer une bonne fois pour toute : 1) où voulons-nous aller ; 2) quelle(s) voie(s) choisir et 3) comment y parvenir. Tout le reste est moins difficile à faire et/ou à gérer.

Concrètement, quelles seraient les mesures à prendre selon vous ?

Un pays qui ne crée pas suffisamment de richesses, qui vit encore au-dessus de ses moyens et qui n’arrive pas à trouver le juste équilibre social, doit œuvrer à mener des politiques économiques cohérentes et efficaces, à bâtir un climat social sain et à engager des réformes structurelles adaptées à son contexte économique et social. Il faut en finir avec des politiques budgétaire, monétaire et fiscale qui ne créent pas suffisamment de richesses et qui, en revanche, pèsent sur le pouvoir d’achat des ménages et les capacités productives des entreprises.

Il faut aussi mettre fin à la politique de dépréciation continue du taux de change, qui ne favorise pas assez les exportations et renchérit davantage les importations. Ainsi que rompre avec une mentalité syndicale vétuste ne valorisant pas le travail et la productivité et confondant droits et devoirs. Il faut enfin cesser de se tirailler et pinailler sur le moindre détail qui bloque le processus de réforme et alimente les incertitudes.

Au fond, pensez-vous que l’économie tunisienne soit réformable ?

En Tunisie, la classe politique demeure toujours bloquée par une incapacité à avancer sur plusieurs dossiers sensibles, tels que la fonction publique, le système financier, les caisses de sécurité sociale, la gouvernance des entreprises publiques, la fiscalité et la caisse de compensation. Son arrière pensée étant la plupart du temps collée à la manière de se protéger contre la sanction de la base électorale et le verdict des urnes. Or, la réformabilité d’une économie est généralement liée à deux facteurs : la volonté et le courage politiques, ainsi que le degré d’implication et du soutien des acteurs concernés, et leurs capacités à supporter les coûts issus de ces réformes.

D’autre part, il reste difficile dans un pays comme la Tunisie qui, rappelons-le, traverse une épreuve bien particulière, de trouver un consensus autour des réformes profondes dans la mesure où celles-ci bénéficient à certains au détriment des autres. Les acteurs ne sont en effet pas toujours sur la même longueur d’ondes quand il s’agit de façonner les modalités et de supporter les retombées négatives de telle ou telle réforme.

Que pense le FMI de l’action économique du gouvernement tunisien ?

Durant la dernière visite du FMI en Tunisie, en décembre dernier, les choses se sont bien déroulées avec les autorités et nous avons bien compris que le décaissement de la 3ème tranche du crédit (320 millions de dollars) ne tardera pas à se faire – du moins selon les déclarations des membres du gouvernement. Mais, en même temps, l’histoire montre que les risques de report du décaissement s’avèrent toujours présents. Faut-il rappeler que le FMI n’a donné son aval pour le déblocage de la 2ème tranche du crédit qu’en juin 2017, alors que le décaissement était prévu pour décembre 2016 ?

Le gouvernement aura droit à la 3ème tranche après l’accomplissement d’un certain nombre d’actions concrètes, liées notamment à la situation des caisses de sécurité sociale, des banques publiques, de la caisse de compensation et de la fonction publique, et ce avant la réunion du conseil d’administration du FMI ce mois-ci. A partir du moment où la loi de finances 2018 est votée, celle relative au départ volontaire des agents publics adoptée par l’Assemblée et le projet de réforme de la gouvernance des entreprises publiques finalisé, le décaissement pourra avoir lieu prochainement.

Toute la question se résume donc dans la capacité d’adaptation et de résilience du pays face à des coûts économiques et sociaux non insignifiants, surtout dans une phase de transition démocratique encore fragile.

Propos recueillis par Mounira Elbouti

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