Le metteur en scène irakien présente à la MC93, vendredi et samedi, une réflexion sur ce temps suspendu qu’est le passage en centre d’accueil.
A Paris, la « bulle » vient d’éclater. Surnommé ainsi en raison de sa structure gonflable, le centre d’accueil des migrants situé Porte de la Chapelle, dans le 18ème arrondissement, a fermé ses portes le week-end dernier. Si le lieu, ouvert en novembre 2016, a accueilli « plus de 25 000 hommes migrants tout juste arrivés sur le territoire français », d’après la mairie, il reflète, selon le Monde, « l’histoire de la capitulation de la capitale devant le ministère de l’Intérieur, qui veut imposer son tri des ‘‘bons’’ migrants, espérant renvoyer tous les autres. » L’Etat d’annoncer qu’il ouvrirait prochainement de nouveaux centres d’accueil pour effectuer ce partage entre, d’un côté, les personnes qui peuvent prétendre au droit d’asile, et les autres.
« Fantômes irakiens »
Cet espoir douché, pour la mairie de Paris, qui ne tiendra pas son rang de « ville d’accueil » de migrants plus longtemps, intervient au moment où le metteur en scène irakien, Mokhallad Rasem, a choisi de partager avec la capitale sa réflexion sur ces centres d’hébergement bien particuliers. Qu’il compare lui-même à des « antichambres » ouvrant les portes d’un nouveau monde. Un moment et un lieu de flottement, où temps et espace ne sont plus – ou ne sont pas encore. Une courbure de l’existence en forme de transition, qui efface petit à petit le passé sans construire pour autant le futur. Incertain. Et, donc, effrayant. Mais néanmoins nécessaire.
D’ailleurs, l’artiste irakien estime qu’il est possible, dans ces lieux, pendant ce laps de temps, de se forger une nouvelle âme. Et il sait de quoi il parle, puisqu’il a résidé dans le centre d’asile de Zemst (Belgique) de 2005 à 2006, après avoir fui son pays en guerre. Obligé de laisser sur place sa vie de comédien et de metteur en scène bagdadien. Pour mieux renouer avec elle de l’autre côté des Ardennes. Il se fait remarquer, d’ailleurs, avec la pièce Irakese Geesten (Fantômes irakiens), en 2010, et Monde.com l’année suivante ; depuis le 1er janvier 2013, il est artiste associé à la Toneelhuis d’Anvers (salle de spectacle), où il se concentre davantage sur le répertoire européen.
Oscillation de l’existence
Mais plutôt que de reproduire à l’identique ces pièces de théâtre, Mokhallad Rasem choisit d’en puiser l’essence pour l’instiller dans son « propre univers, dans lequel l’image, le silence et la présence physique des comédiens sont tout aussi importants que les dialogues ou l’histoire » (1). Ainsi, le metteur en scène marie les cultures, et fait appel, régulièrement, à sa région natale. Comme à l’automne 2014, où il met en scène Closed Curtains, une pièce sur le parcours du combattant du cinéaste iranien Jafar Panahi, assigné à résidence et interdit de tournage dans son pays. Et en 2015, il crée pour la salle anversoise Body Revolution, une installation-performance sur les effets physiques de la violence et de la souffrance, avec des performeurs du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord.
Il arrive également que Mokhallad Rasem s’introduise dans ses pièces. Comme ce sera le cas, vendredi et samedi, à la Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis (MC93), à Bobigny, où l’artiste présentera ses Chercheurs d’âmes (2). Sur scène, il s’attachera, grâce à des témoignages recueillis dans des centres d’accueil, mais également grâce à sa propre expérience, à dépeindre la vie au sein de ces « antichambres ». Cette oscillation de l’existence, entre nostalgie du passé et incertitude quant à l’avenir, où tout peut – et tout doit -, selon le metteur en scène, être possible. Lui-même n’en est-il pas la preuve vivante ?
(1) Voir la biographie de l’artiste sur le site de la MC93.
(2) Vendredi 6 avril à 18h30 et 20h30 ; samedi 7 avril à 14h30, 16h30, 18h30 et 20h30
Accueil des migrants en Europe
En 2015, la Commission européenne s’était engagée à accueillir quelque 160 000 migrants en provenance d’Irak, de Syrie et d’Erythrée, alors que plus d’1,5 million de personnes ont gagné les côtes européennes en un peu moins de trois ans. La France, quant à elle, devait en accueillir 30 000 ; en septembre dernier, seuls un peu plus de 4 000 étaient arrivés en provenance d’Italie et de Grèce. Ce qui a poussé Bruxelles à ranger Paris dans le groupe des pays qui « devraient de toute urgence accélérer les transferts ».
