« Les expositions universelles constituent incontestablement une vitrine pour le pays organisateur »

Spécialiste des questions géopolitiques et président d’ARES Stratégie, Matthieu Anquez répond pour Le Monde arabe, sur les enjeux des expositions universelles et la candidature saoudienne pour l’édition 2030.

Le Monde arabe – Alors que l’exposition universelle de Dubaï vient de s’achever, en quoi ces grandes manifestations sont-elles importantes en termes géopolitiques ?

Matthieu Anquez – Les expositions universelles constituent incontestablement une vitrine pour le pays organisateur. Il est possible de comparer un tel événement à d’autres, par exemple les événements sportifs de portée mondiale, comme les Jeux olympiques ou la Coupe du monde de football. Le pays hôte peut profiter de l’exposition pour montrer à la planète son engagement en faveur de l’amélioration des conditions de vie de l’humanité, sa modernité et sa capacité d’innovation. Ainsi, l’organisation d’une exposition universelle est bien un élément d’exercice du soft power, et revêt ainsi une dimension géopolitique sans être associé à l’exercice de la puissance militaire ou autres. A la marge, ces événements peuvent servir de prétexte pour améliorer des relations entre pays antagonistes, mais aussi donner une image différente du pays organisateur, surtout si celui-ci ne dispose pas d’une façade positive parmi une partie de l’opinion publique mondiale.

Le Monde arabe – Peut-on déjà dresser un bilan de l’exposition de Dubaï ?

Matthieu Anquez – Elle peut sans conteste déjà être considérée comme un succès, surtout qu’elle a dû être reportée d’un an en raison de la crise sanitaire mondiale liée à la Covid-19. Ce report prouve la capacité d’adaptation du pays organisateur, les Emirats arabes unis. Plusieurs millions de personnes se sont rendus à Dubaï, et aucun des 192 pays exposant n’a annulé sa présence. Les chiffres les plus récents font état de plus de 23 millions de visiteurs (soit presque l’objectif initial de 25 millions, mais il avait été défini avant la crise sanitaire). Pour mémoire, un peu plus de 22 millions de visiteurs s’étaient rendus à la précédente exposition universelle de 2015 à Milan.

Le Monde arabe – La prochaine exposition se tiendra au Japon en 2025. N’y a-t-il pas une sur-représentation des pays occidentaux dans l’organisation des expositions universelles ?

Matthieu Anquez – C’est l’un des principaux reproches que l’on peut adresser à ce type de manifestation. En effet, les pays occidentaux sont largement sur-représentés historiquement. Certes, l’origine des expositions universelles est européenne, mais le contexte historique était alors très différent : le monde était largement dominé politiquement, économiquement et scientifiquement par l’Europe. Les temps ont bien changé, et il est temps d’ouvrir encore plus largement l’organisation des expositions universelles aux pays non-occidentaux. Bien entendu, il est nécessaire de remplir certaines conditions, notamment budgétaires. L’exposition de Dubaï aurait coûté au pays organisateur entre 5 et 6 milliards de dollars, mais certains chiffres avancés sont bien supérieurs si l’on compte les investissements annexes, comme les infrastructures et les logements. BNC Network, un institut de recherche privé, a ainsi évalué les investissements totaux à 42,5 milliards de dollars, dont 17,4 milliards dans les transports et les infrastructures. Un tel effort financier, considérable, n’est pas à la portée de n’importe quel Etat.

Le Monde arabe – Parmi les pays candidats pour organiser l’Exposition 2030, lequel vous apparaît comme étant le mieux placé ?

Matthieu Anquez – Cinq Etats ont déposé leur candidature pour organiser l’exposition universelle de 2030 : l’Arabie saoudite, la Corée du Sud, l’Italie, la Russie et l’Ukraine. La Russie peut d’ores et déjà être considérée hors-jeu, compte tenu de l’invasion de l’Ukraine et de la force des réactions internationales qui isole considérablement ce pays. L’Ukraine, malheureusement, pourra difficilement organiser une exposition universelle malgré la sympathie internationale : les moyens financiers seront d’abord alloués à la reconstruction du pays lorsque cette guerre sera achevée. L’Italie a organisé l’exposition universelle de 2015 à Milan, je pense qu’il est plus juste de donner sa chance à un autre pays. La Corée du Sud pourrait être un candidat sérieux. Toutefois, plusieurs pays d’Asie de l’Est ont récemment organisé une exposition universelle, comme la Chine et 2010, et le Japon organise celle de 2025. En conséquence, la candidature saoudienne me paraît pour le moment être la plus pertinente. D’autant qu’à la tête de la Commission royale pour la ville de Riyad, qui porte la candidature saoudienne à l’exposition 2030, Fahad al-Rasheed a réalisé de gros efforts pour faire de la capitale du royaume une ville-monde, parfaitement apte à accueillir ce genre d’évènements.

Le Monde arabe – Sur quels thèmes l’Arabie saoudite pourrait-elle se positionner pour offrir aux pays participants et visiteurs une valeur ajoutée et une originalité à son exposition ?

Matthieu Anquez – Tout d’abord, ce serait une belle occasion de faire le bilan du plan de transformation géant lancé par le prince héritier Mohammed ben Salman en 2015 connu sous le nom de Vision 2030, et d’en apprécier les réalisations. L’Arabie saoudite s’est lancée dans un grand effort de modernisation économique et sociale, en partie motivé par sa volonté de sortir de sa trop grande dépendance aux hydrocarbures et donc à la diversification de ses activités. Parmi ces dernières, un effort considérable a été consenti dans le domaine des énergies renouvelables (éolien, solaire), des villes connectées du futur (projet NEOM) mais aussi du tourisme avec une mise en valeur de son patrimoine pré-islamique. De tels thèmes pourraient ainsi contribuer à la crédibilité de la candidature saoudienne compte tenu de l’urgence climatique et des enjeux liés à l’urbanisation de demain. Enfin, les capacités financières importantes de l’Arabie saoudite permettent de lever l’hypothèque possible des coûts d’organisation.

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