Retour sur une année de tensions qui marquera durablement l’histoire du monde arabe.
Un an déjà. Depuis le 5 juin 2017, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis (EAU), l’Égypte et le Bahreïn — le « quartet » — ont unilatéralement rompu leurs relations diplomatiques avec le Qatar, qu’ils accusent de soutenir le terrorisme international et dont ils désapprouvent le rapprochement avec l’Iran. S’en sont suivies l’instauration d’un blocus économique et de vives tensions dans l’ensemble du monde arabe, chaque pays étant tenu de prêter allégeance à l’un des camps opposés.
Un conflit par procuration
Le Qatar, petit émirat riche en hydrocarbures, s’est peu à peu dégagé de la tutelle saoudienne depuis les années 1990. Depuis, Riyad n’a eu de cesse que de tenter de reprendre la main sur son ancien vassal — en vain. Les deux pays s’étaient, par exemple, violemment opposés à l’époque des « Printemps arabes », Doha soutenant la révolution tunisienne, Riyad et Abou Dhabi percevant, au contraire, ces mouvements populaires comme une menace pour leur propre stabilité.
Mais le Qatar est-il vraiment responsable des sanctions qui le frappent ? À en croire le très sérieux Washington Post, lui-même informé par des membres du renseignement américain, les EAU auraient sciemment provoqué la crise diplomatique. Fin mai 2017, l’émir du Qatar, le cheikh Tamin Binh Hamad al-Thani aurait tenu, via l’agence de presse officielle qatarie, des propos conciliants envers l’Iran, le Hezbollah, les Frères musulmans et le Hamas. Immédiatement démentis par Doha, ces propos explosifs avaient conduit le quartet à rompre ses relations. Mais il s’agissait plus probablement d’un piratage informatique, commandité par les EAU, servant de prétexte pour enclencher des hostilités contre le Qatar.
En octobre 2017, on apprenait aussi que les EAU avaient conspiré pour envahir le Qatar dans le but de renverser l’émir et de le remplacer par un dirigeant aux ordres du quartet. Plusieurs milliers de mercenaires internationaux auraient été formés dans ce but, en ayant recours à la tristement célèbre société militaire privée américaine Blackwater, qui s’était déjà illustrée lors d’exactions perpétrées pendant la seconde guerre d’Irak.
Le monde arabe divisé
Sans surprise, la crise du Golfe a rejailli sur l’ensemble du monde musulman. Les pays traditionnellement alliés du Qatar ou au quartet ont été sommés de prendre position, de choisir leur camp. Beaucoup, cependant, ont préféré afficher une neutralité bon teint. C’est le cas de la Tunisie, obligée de Riyad et de Doha pour leur soutien financier. Cultivant une neutralité diplomatique, la Tunisie s’est pourtant rapprochée du Qatar, l’émir de Doha étant même invité d’honneur des célébrations du premier anniversaire de la révolution.
Depuis le déclenchement de la crise, le Maroc et le Qatar se sont, eux aussi, rapprochés. Le royaume avait alors envoyé une aide alimentaire à Doha, et les Marocains ont bénéficié de mesures de facilitation de visas pour se rendre au Qatar. Quant à l’Algérie, elle prône officiellement la sagesse et le dialogue entre les deux parties, refusant de soutenir l’un ou l’autre camp, et ce bien qu’elle bénéficie d’investissements plus importants de la part du Qatar que de celle de l’Arabie saoudite.
En décembre 2017, le Koweït s’est engagé à poursuivre ses efforts de médiation dans la crise opposant le Qatar et les pays du quartet. « Nous avons été secoués ces six derniers mois par des développements douloureux et négatif (…), mais nous avons réussi à obtenir le calme », s’est ainsi félicité l’émir du Koweït, le cheikh Sabah al-Ahmad Al-Sabah. « Nous continuerons ce rôle de médiateur dans la durée », a conclu celui dont le pays n’a pas pris part au boycott visant Doha.
Le blocus a renforcé le Qatar
Les sanctions décidées par le quartet ont-elles porté leurs fruits ? Rien n’est moins évident : de nombreux observateurs relèvent qu’au contraire, le Qatar s’est renforcé financièrement et diplomatiquement.
Au niveau économique, Doha a ouvert de nouvelles routes commerciales et a encouragé ses entreprises à développer la demande interne. Selon le FMI, sa croissance devrait s’établir à 2,6 % cette année. Dans le même temps, les réserves de devises étrangères du pays ont progressé de 2,9 milliards de dollars à 17,7 milliards. Et le blocus n’a en rien empêché l’émirat de signer de juteux contrats d’armement avec les États-Unis (pour 12 milliards de dollars) ou avec la France (pour 12 milliards d’euros). Enfin, l’ONG Human Rights Watch a salué les efforts entrepris par Doha comme « les plus progressistes en matière de droits de l’homme dans la région ».
Le divorce entre le Qatar et la coalition emmenée par l’Arabie saoudite semble donc consommé. L’embargo n’a pas eu les effets escomptés. Le Qatar suit sa voie indépendamment et entretient même de meilleures relations avec l’Iran depuis le début de la crise. De leur côté, l’Arabie saoudite et les EAU se rapprochent des États-Unis et d’Israël, au risque de mécontenter leurs opinions publiques. Aujourd’hui, seuls les États-Unis pourraient siffler la fin de la partie. À moins qu’ils ne trouvent leur compte dans ces divisions ?
