Le Qatar fête ses un an d’inflexibilité dans la crise du Golfe

La capacité de résilience de l’émirat se comprend notamment par la multiplication de ses soutiens à l’international.

Une année s’est écoulée depuis que l’émirat du Qatar s’est vu imposer un blocus par ses voisins du Golfe. Si cette crise reste encore discrète, elle s’est pourtant largement intensifiée au cours de ces douze derniers mois. Dans le domaine commercial bien sûr, le prince héritier d’Arabie saoudite Mohamed ben Salman s’active pour soumettre son minuscule voisin et plus inquiétant encore, dans le domaine militaire, où les logiques d’acquisitions d’armement poussent à envisager le pire.

Toutefois, rien ne laisse présager que Doha se conforme à la liste des 13 demandes adressées par les pays du Quartet en juin 2017, dont : la fermeture du réseau de télévision Al Jazeera, la restriction des liens avec l’Iran et les Frères musulmans et la fermeture d’une base militaire turque. Dans ce qui semble être un miracle tant le rapport de force est déséquilibré, le Qatar ne fait pas que survivre à cette crise, il semble en sortir plus fort.

Une histoire de résilience

Le prince Mohamed ben Salman était probablement convaincu que son autre voisin se soumettrait rapidement. L’hypothèse d’une résistance du Qatar face à l’Arabie saoudite et à ses États satellites était effectivement mince.

C’était sans compter sur l’effet mobilisateur que la crise a eu sur les Qataris. Comme beaucoup d’observateurs l’ont noté, la capacité économique de l’émirat, via notamment la mobilisation de son fonds souverain (Qatar Investment Authorithy), a permis d’absorber les effets de l’embargo. Selon les chiffres du Fonds Monétaire International (FMI), en 2018, la croissance du Qatar serait supérieure à celle de l’an passé (2,1 % en 2017, pour 2,6 % cette année). Ce sont donc ici les stratégies de multiplication des investissements à l’étranger depuis 1995 et celles d’exportation du gaz naturel liquéfié (GNL) qui ont permis à l’économie du micro-État de supporter le choc à moyen terme.

Toutefois, la crise a eu des conséquences néfastes dans plusieurs autres secteurs de l’économie. L’immobilier et le tourisme sont fortement touchés depuis une année ; mais c’est surtout dans le domaine du transport aérien — Qatar Airways — que les pertes devraient être les plus significatives. Dans cette configuration, c’est toute la stratégie destinée à alléger la dépendance du Qatar aux hydrocarbures qui devra être repensée par le Diwan Amiri.[1]

Néanmoins, le blocus n’a pas affecté la légitimité du jeune Émir Tamim ben Hamad Al-Thani, qui reste forte auprès de toutes les couches de la population. Malgré les lourdes répercussions sur la société qatarie (plusieurs milliers de familles séparées par la fermeture des frontières dans le Golfe, des ressortissants qataris expulsés des pays voisins, les nombreuses contraintes liées à l’embargo) les sujets de l’émir continuent de se tenir derrière leur souverain.

La capacité de résilience de l’émirat se comprend également par la multiplication de ses soutiens à l’international. Depuis le début du blocus, et devant les errements des chancelleries européennes, l’Iran et la Turquie demeurent des partenaires privilégiés. Ces deux pays ont manifesté une grande solidarité avec le petit émirat, lui permettant d’importer des produits alimentaires et n’ayant de cesse de condamner les sanctions adoptées. Ironie du sort, Téhéran et Ankara, grands rivaux de l’Arabie saoudite, utilisent le blocus qatari pour illustrer l’échec de la stratégie hégémonique du prince Mohamed ben Salman dans la région.

La tentation du militaire

À échec stratégique, nouvelle méthode. La mise au ban du Qatar a échoué, sa stigmatisation aussi. Le risque encouru est bien évidemment le passage du Soft vers le Hard Power, autrement dit, le conflit armé. Qu’en est-il ?

Jadis partisan d’un règlement pacifique des différends dans la région, le Qatar se considère désormais menacé dans sa sécurité par un adversaire bien plus puissant que lui. En conséquence, Doha multiplie les partenariats avec plusieurs prestataires de sécurité. La situation reste cependant inédite pour l’émirat : alors que les États-Unis étaient le principal allié sécuritaire depuis les années 1990[2], le Président Donald Trump a adopté à plusieurs reprises une posture belliqueuse face au Qatar.

La méfiance accrue vis-à-vis des États-Unis vient ainsi renforcer le besoin de trouver de nouveaux partenaires. Dans cette perspective, le Qatar a signé un accord de coopération militaire et technique avec la Russie l’année dernière. Celui-ci porterait notamment sur l’acquisition d’un système de défense antiaérien russe S-400[3]. Dans une lettre adressée au Président français le 1er juin dernier, le prince saoudien est venu à exprimer « sa profonde préoccupation » et se dit « prêt à prendre toutes les mesures nécessaires pour éliminer ce système de défense, y compris une action militaire »[4].

Un an, et après ?

Pour l’heure, le Qatar sort vainqueur du bras de fer qui l’oppose à ses voisins. Mais la situation est probablement plus complexe que jamais pour les mois et les années à venir.

D’abord, sa capacité de résilience, qui a fait jusque-là ses preuves, a peut-être atteint ses limites selon plusieurs spécialistes. Ensuite, la tentation hégémonique dont fait preuve le prince Mohammed ben Salman, ainsi que les méthodes employées pour consolider son pouvoir dans le royaume, laissent deviner que le recours à la force est une option que le jeune prince peut mobiliser. Enfin, l’incertitude quant aux décisions futures adoptées par l’administration Trump ne sera pas sans incidence sur le dénouement de la crise.

C’est tout un équilibre régional qui doit être alors repensé. Il ne fait nul doute que la crise aura des répercussions importantes sur les autres espaces de tension — nombreux — de la région. Associé aux dossiers iranien, palestinien, syrien, yéménite, etc., l’isolement du Qatar va participer à la diffusion et à la perpétuation de la violence dans la région. Étant entendu que le degré de « maturation » de la crise ne fait que diminuer progressivement la marge de manœuvre d’une éventuelle initiative extérieure.

 

[1] Palais de l’émir.

[2] Le premier accord de défense avec les Etats-Unis fut signé en juin 1992. En avril 2003, the U.S Combat Air Operations Center au Moyen-Orient quittée la base aérienne de Prince Sultan en Arabie saoudite et s’installe à dans a base d’Al Oudeïd au Qatar.

[3] « L’Arabie saoudite menace le Qatar d’une « action militaire » s’il se dote de missiles S-400 », Benjamin Barth, Le Monde.fr, 1 juin 2018.

[4] Ibidem.

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