Au Moyen-Orient et plus particulièrement dans les pays du Golfe, l’impact sanitaire et économique de l’épidémie de Covid-19 s’est révélé extrêmement différent selon les États concernés. Alors que la pandémie recule, les Émirats arabes unis apparaissent déjà comme l’une des nations de la région qui a le mieux géré la crise. Comment expliquer cette situation ?
Déjà touché par de graves conflits armés comme au Yémen ou en Syrie et secoué depuis plusieurs décennies par des crises politiques et des tensions diplomatiques à répétition, l’instable Moyen-Orient a aussi été durement frappé par la pandémie mondiale de Coronavirus.
Dans une analyse publiée début avril, l’Institut Montaigne s’interrogeait : « Le Covid-19 est-il un game-changer pour le Moyen-Orient et le Maghreb ? ». Il faut dire que le virus a déstabilisé plusieurs pays de la région, et le think-tank français de rappeler que les différentes Nations n’ont pas été frappées également par le virus.
L’Iran est ainsi l’un des pays où l’épidémie a frappé le plus dur, d’autant plus que les autorités de la République islamique ont tardé à admettre l’ampleur de la propagation du Covid-19 et à adopter les mesures adéquates. En Irak, la faiblesse des institutions politiques donne un aperçu partiel des dégâts causés pour l’instant par l’épidémie, mais celle-ci a surtout servi de prétexte au pouvoir de Bagdad pour faire taire une partie de la contestation. Au risque de démultiplier celle-ci dans quelques mois ? D’autres Nations de la région vont aussi payer un lourd tribut économique, comme le Liban : celui qu’on surnommait dans les années 1970 « la Suisse du Moyen-Orient » accumule les difficultés financières (quelques semaines avant le début de l’épidémie, Beyrouth annonçait suspendre le remboursement de sa dette publique). Il y a fort à parier que le ralentissement mondial de la croissance en 2020 aura de lourdes conséquences sur le pays du cèdre.
L’exception émiratie
A contrario, les Émirats arabes unis et leurs colossales ressources économiques ont permis à la petite fédération du golfe de mettre en place une palette de dispositifs particuliers pour protéger sa population — et les très nombreux étrangers sur son sol — de l’épidémie.
Il faut dire que le pays était particulièrement à risque : Abu Dhabi est un véritable « hub » du trafic aérien international, entre l’Europe, l’Afrique et l’Asie. En 2019, le pays comptait près de 19 millions de touristes — un record, dans la région —, dont un million de Chinois. En février 2020, les Émirats arabes unis cumulaient donc les facteurs à risque face à l’épidémie. Une situation qui a peut-être incité les autorités locales à mettre les bouchées doubles.
Au-delà d’inciter les populations à respecter les gestes barrières, des mesures strictes ont été mises en place pour limiter la circulation du virus (couvre-feu de 22h à 6h en plein ramadan) et l’interdiction a été faite aux entreprises de mobiliser plus de 30 % de leurs effectifs sur le même lieu de travail. Une incitation au télétravail destinée aux travailleurs du tertiaire (hôtellerie, tourisme, finance…), qui complète les dispositifs destinés à protéger les très nombreux travailleurs du bâtiment.
Car le secteur de la construction, pléthorique aux Émirats arabes unis et composé en grande partie de salariés venus du sous-continent indien, est particulièrement exposé. Une raison qui explique pourquoi les autorités émiraties ont spécifiquement ciblé ces populations, notamment en désinfectant massivement leurs lieux de travail et leurs logements, ou en prenant en charge leurs frais de santé. Pour limiter la propagation du virus dans ces centres de travailleurs et leur permettre d’être auprès de leurs familles en pleine crise sanitaire, les autorités émiraties ont aussi organisé le rapatriement massif de plusieurs milliers d’Indiens, de Pakistanais et de Bangladais dans leur pays d’origine, en ayant pris le soin préalable d’organiser des tests de dépistage du Covid-19 sur chacun d’eux pour éviter de propager l’épidémie.
Pour Abu Dhabi, cette politique sanitaire ambitieuse est aussi une manière de se démarquer et de montrer sa singularité par rapport à ses voisins, notamment ses rivaux qataris ou iraniens. Doha a en effet été largement critiquée pour la gestion de ses milliers de travailleurs étrangers dans la crise, la presse internationale ayant régulièrement dénoncé l’abandon de ses ouvriers du bâtiment : sans ressource financière faute d’activité, dans l’impossibilité de retrouver leurs familles, ces derniers ont été particulièrement isolés face à l’épidémie. La gestion de la crise par les Émirats arabes unis tranche aussi avec la situation de l’autre côté du détroit d’Ormuz : en Iran, l’épidémie continue de s’accroitre au début du mois de juin et les 8 000 morts provoqués par le Covid-19 (chiffre probablement sous-évalué par le régime) font de l’Iran l’un des pays les plus touchés au monde.
Préserver le marché du travail
Sur le plan sanitaire, la fédération des Emirats a donc réussi à tirer son épingle du jeu. Reste à assurer la reprise économique post-Covid, mais les colossales ressources financières de l’État lui ont permis de largement soutenir ses entreprises ces dernières semaines. Dans cette perspective, les autorités locales ont multiplié les mesures pour préserver l’équilibre du marché du travail, tant pour les employeurs que pour les salariés.
Ainsi, de nouveaux dispositifs législatifs ont été adoptés en urgence pour inciter fortement le secteur privé à conserver sa masse salariale durant la crise, et ce, tout en assouplissant les conditions nécessaires à l’embauche pour aider les entreprises soudainement en manque de main-d’œuvre ou permettre aux travailleurs frappés par la crise de retrouver rapidement un emploi. Une secousse économique qui a poussé le pays à se moderniser au forceps, en numérisant largement son marché du travail et en centralisant les offres sur un nouveau site internet.
Enfin, des mesures d’urgence ont été mises en place pour fournir des logements et des ressources alimentaires aux travailleurs précaires et les visas de travail qui arrivaient à expiration ont automatiquement été renouvelés. L’enjeu était de taille : préserver l’équilibre du marché du travail qui prévalait avant la crise pour que la reprise économique se fasse le plus facilement et rapidement possible.
Les entreprises émiraties ont ainsi pu traverser la pandémie mondiale en conservant une partie de leurs revenus grâce aux aides exceptionnelles de l’État tout en gardant leur masse salariale sans que celle-ci soit impactée par le virus ou la crise mondiale. Les Émirats arabes unis vont-ils réussir leur pari ? Réponse dans quelques mois, quand les premiers chiffres de la croissance économique seront publiés. En attendant, les Emirats ont déjà réussi à remporter une première bataille, celle de l’image médiatique et de l’opinion publique dans la région, où le petit pays fait figure d’exception dans sa bonne gestion de la pandémie.
