« Avec cette affaire, l’image des Émirats est à nouveau écornée », estime Sébastien Boussois.
Yuzhny est une petite ville stratégique de l’Ukraine, au bord de la mer Noire, à proximité de la grande ville d’Odessa. Et si les Émirats arabes unis (EAU) ont décidé d’y poser leurs valises, ce n’est pas pour son climat attractif. Mais bien plutôt pour son port, le plus important du pays, à la gestion capricieuse. Dernièrement, son directeur adjoint a été accusé de détournement de fonds, avec un ancien adjoint ainsi que 7 chefs d’entreprises ex-sous-traitants de l’installation portuaire.
Plusieurs responsables d’État ont d’ores et déjà été arrêtés de manière préventive, l’enquête ayant établi qu’un vaste réseau de corruption avait été établi dans le cadre de l’autorité portuaire de Yuhzny, à travers la mise en place d’un certains nombres de marchés publics, attribués en fin de course à des entreprises complices avec surfacturation, biaisant le processus loyal de concurrence. Ces actes de corruption concernent une trentaine d’offres publiques et ont rapporté aux protagonistes plus d’1 million de dollars entre 2017 et 2018. Comme des dizaines de ports aujourd’hui dans le monde, la gestion de Yuzhny a été confiée à la Dubai Port Authority, devenue actionnaire majoritaire en février dernier.
Le 27 octobre dernier, la justice ukrainienne, via le Bureau national de lutte contre la corruption, se faisait l’écho de l’avancée de l’enquête sur son site. Et l’affaire risque rapidement de dépasser le simple cadre géographique de ce pays. Car ce n’est pas la première fois que de tels agissements ont lieu dans le port de Yuzhny et dans l’industrie portuaire. Ainsi, en septembre 2019, un détournement de fonds publics d’un montant de 7,5 millions de dollars est revenu à une entreprise complice dans un autre appel d’offres de la Compagnie nationale de l’autorité des ports d’Ukraine. La justice a pu intervenir à temps pour stopper le transfert.
Trafic maritime mondial
Les Émirats arabes unis (EAU) ne sont pas réputés pour être un modèle de transparence financière et les dérives se multiplient depuis de nombreuses années, en particulier à Dubaï, paradis du blanchiment et de la corruption. Régulièrement, le pays se retrouve sur la liste noire des paradis fiscaux. Partant, pourquoi l’affaire de Yuzhny risque-t-elle de faire du bruit ?
La stratégie d’Abou Dhabi, visant à conquérir de plus en plus de marchés pour la gestion des ports mondiaux, s’inscrit dans un objectif de puissance maritime unique au monde. Tout est parti de Dubaï. La situation de la ville était parfaite pour en faire un lieu incontournable du trafic maritime mondial de marchandises et d’hydrocarbures. Le port de Jebel Ali est en effet unique au monde : construit dans les années 1970, il accueille plus de 5 000 entreprises mondiales (issues de 120 pays) qui transitent par ses quais. C’est le plus grand port construit de la main de l’homme et le 9ème au monde en termes de trafic, avec 1 million de mètres cubes de containers chaque année.
Le Dubai Port World (DPW), issu d’une fusion entre la Dubai Port Authority et son extension internationale DPI Terminals, est devenue une référence en la matière et gère désormais de nombreux ports dans le monde. L’expérience inédite et unique dans les Émirats allait devenir une marque de fabrique et une référence en seulement quelques décennies. Et faire des EAU une sérieuse puissance maritime mondiale. En moins de 50 ans, le DP World a réalisé un chiffre d’affaires de plus de 4 milliards de dollars, et est devenue le 3ème exploitant portuaire au monde, en assurant la gestion de près de 50 terminaux d’approvisionnement maritime dans le monde.
Excès émiratis
Le DP World est présent sur l’ensemble des continents, que ce soit en Algérie, au Sénégal, en Argentine, au Canada ou à Hong Kong, mais également en Chine, en Inde, au Pakistan, en Russie, en Arabie saoudite, en Turquie et en Corée du Sud. La compagnie s’est aussi implantée en Europe : en Belgique (le port d’Anvers), en France (notamment le port de Marseille), aux Pays-Bas à Rotterdam (premier port en Europe), au Royaume-Uni à Londres et Southampton. Et en Ukraine donc. Enfin en Australie comme à Sydney, DP World est un succès émirati planétaire.
Reste un bémol majeur qui reflète en réalité la fragilité de ce succès, avec l’échec de Dubaï à décrocher la gestion du port de New-York en 2006. Là, Dubaï se frottait à plus grand qu’elle. La polémique avait démarré en février 2006 au moment où un débat d’ordre national se focalisait sur la sécurité du port de New-York : devait-on confier la gestion de celui-ci à un pays étranger, qui plus est allié à l’Arabie saoudite, pays d’où provenait la majorité des terroristes du 11-Septembre ? Bien qu’approuvée par le gouvernement et le président de l’époque, George W. Bush, la vente de la gestion fut bloquée en mars de la même année par la United States House Committee on Appropriations. Et DP World dut rendre la concession à une société américaine.
Avec cette affaire de corruption dans le port de Yuzhny, l’image des Émirats est à nouveau écornée, et ce toujours pour les mêmes raisons. Car si le motif officiel de rejet pour New York était la sécurité, le blanchiment d’argent et la corruption pratiqués par Abou Dhabi en étaient les principales raisons. Les Américains avaient donc souligné les excès émiratis ; l’affaire ukrainienne pourrait leur donner raison.
