Au Maroc, l’illusion du développement

« L’économie marocaine est contaminée à maintes lèpres : faible productivité, chômage, capital humain défaillant, corruption… »

La crise sanitaire qu’a connue l’humanité depuis la fin de 2019, accompagnée, de surcroît, d’une asphyxie de la démocratie et des droits de l’homme observée dans plusieurs pays, et finalement le conflit russo-ukrainien venant compliquer la situation davantage, ont bouleversé les équilibres à l’échelle mondiale. En termes de développement humain les projections prévues pour l’année 2020, ont été revues à la baisse, et plusieurs pays ont affiché des reculades dans le palmarès les années d’après, 2021 et 2022. Une diminution mondiale pour deux années successives a régressé le niveau de développement humain 6 années en arrière.

Le développement des nations est un phénomène multidimensionnel et complexe à traiter. Les notions de développement et de sous-développement sont toujours difficiles à définir d’une manière claire et bien cernée. On retient souvent la fameuse définition de François PERROUX : « Le développement est la combinaison des changements mentaux et sociaux qui rendent la nation apte à faire croître, cumulativement et durablement son produit réel global ». Ou de Walt Withman ROSTOW qui considère le développement comme un phénomène certain et inévitable dont tous les pays profiteront, alors que le sous-développement, tout simplement, est un retard dans les étapes du développement telles qu’elles ont été précisées par l’économiste : la société traditionnelle, la réunion des conditions préalables au développement, le décollage économique, la marche vers la maturité et la société de consommation de masse.

Cependant, ces définitions semblent aujourd’hui être dépassées, même dans le jargon économique on commence à se débarrasser de ces concepts devenus classiques, et les substituer à d’autres. On parle désormais de pays à revenu élevé, pays à revenu intermédiaire et pays à faible revenu. Ce rêve de développement qui a préoccupé Etats, économistes, conseillers et institutions commence à s’effondrer. Il semble aujourd’hui que ceux qui étaient à l’origine de l’invention de ce phénomène, sont ceux qui sont derrière son déclin.

Avec l’élargissement du champ de recherche et d’analyse des pierres d’achoppement qui entravent le développement des nations, et la convergence d’autres, plusieurs facteurs d’échecs ont été dénombrés : faible croissance économique, mauvaise gouvernance, inégalités sociales…etc. Aujourd’hui, plusieurs études et recherches relevant du domaine de l’économie de développement ont résumé tous ces facteurs en un seul problème, celui de la démocratie. En revanche, la relation entre la démocratie et le développement est controversée, entre ceux qui donnent la prééminence au développement et ceux qui mettent en avant la démocratie comme condition préalable au développement.

La Banque mondiale, l’institution phare ayant accompagné les pays les moins développés depuis des années dans leur processus de développement, via ses aides, études, plans prêts à porter et recommandations, est remise en question aujourd’hui. Cette institution qui a écarté le facteur démocratique de ses analyses, n’emploie jamais le mot « démocratie » dans ses rapports officiels et discours. Chose qui a été confirmée par William EASTERLY, senior economist au sein de cette institution entre 1985 et 2001, qui décrit, dans son ouvrage The Tyranny of Experts : Economists, Dictators, and the Forgotten Rights of the Poor, comment le bureau de presse de l’institution lui a expliqué qu’elle n’est pas autorisée -la Banque Mondiale- par sa propre charte à utiliser le mot démocratie. Il part encore plus loin lorsqu’il considère que ce qui était autrefois le droit divin des rois est devenu à notre époque le droit au développement des dictateurs. Alors que même la Banque Mondiale est d’un esprit autoritaire et dictateur.

Le Maroc, à côté de plusieurs autres pays de ce qu’on a nommé ‘‘le tiers monde’’, n’a pas été emporté par la vague de développement, et, lui qui est une terre fertile au développement, vit depuis des années dans sa bulle illusoire d’un mythe de développement. L’économie marocaine est contaminée à maintes lèpres : faible productivité, chômage, capital humain défaillant, mariage du pouvoir et de l’argent, corruption… etc.  Cette économie a été employée comme un outil de stabilisation politique et d’enrichissement personnel des élites, et n’a pas été perçue comme étant la pierre angulaire sur laquelle se fonde tout un pays. Elle a constitué depuis l’ère de Hassan II une machine à distribuer les privilèges et les opportunités, en échange de tout acte de soumission et d’obéissance et encore de complicité dans les massacres du régime vis-à-vis les citoyens, qui n’ont pas trouvé de rôle dans ce jeu sordide. Ceci était une raison principale derrière ce retard de développement.

A chaque fois que la question de développement est mise sur la table, la responsabilité se rejette de façon automatique sur la classe politique, pendant que le premier et l’unique décideur demeure l’institution monarchique. Que, même Abdel-Ilah BENKIRAN, le secrétaire général du PJD et l’ancien pseudo opposant qui s’est positionné à la tête du gouvernement entre 2012 et 2017, ne cesse d’affirmer que le Maroc ne peut fonctionner et avancer sans ‘‘Sidna’’ (notre seigneur). BENKIRAN qui profite d’une pension exceptionnelle de retraite de 70 000 dirhams mensuellement (l’équivalent de 6550 $ environ), réitère toujours ses propos, lors de ses sorties médiatiques, et certifie que c’est le Roi et ses orientations qui dirigent et gouvernent, et aucune décision ne peut être déployée sans son accord.

Selon la Constitution de 2011, le Maroc se considère comme étant une monarchie constitutionnelle, démocratique, parlementaire et sociale. Mais la réalité témoigne le contraire, il s’agit d’une monarchie exécutive qui se dote d’une constitution, qui, malgré les réformes judiciaires relatives à la séparation des pouvoirs, ces derniers convergent vers l’institution monarchique. Effectivement, le gouvernement au Maroc ne renvoie pas au pouvoir. Les élections multipartites pour le Gouvernement et les organes locaux s’organisent régulièrement, mais elles sont toujours frauduleuses et non équitables. Les élus ne rendront jamais des comptes aux citoyens, reddition des comptes au Maroc est synonyme d’un limogeage émanant d’une volonté royale.

Encore plus loin, Baha Eddine SHANBLEH, un grand homme d’affaire d’origine émirati, bien connu au Maroc, a déclaré -selon un document secret révélé par Wikileaks en 2009- que les principales institutions et processus de l’Etat marocain sont utilisés par le biais du Palais pour contraindre et solliciter des pots-de-vin dans le secteur immobilier. Alors que les pratiques de corruption existaient sous le règne de Hassan II, elles se sont beaucoup plus institutionnalisées avec le roi Mohammed VI.

La part des facteurs non économiques expliquant le retard du développement du Maroc est plus significative que celle des facteurs économiques, notamment le facteur institutionnel, social et territorial qui restent peu soignés.

Suivant les décisions et les réformes ordonnées par la thérapie de choc, conçue par les institutions financières internationales depuis 1983, la priorité a été accordée à la croissance économique. Les remèdes aux maux dont souffre le modèle de croissance économique marocain étaient purement techniques, ont débouché sur les droits, les opinions et les libertés des pauvres, et ont fini par un niveau de croissance largement inférieur aux attentes, fragile, dépendant du ciel et des aléas climatiques et ne produisant guère d’emploi.

Le niveau de croissance économique cette année ne serait que de 0,8%, impacté par un déficit pluviométrique aigu, accompagné d’un taux d’inflation de 6,3% sur l’ensemble de l’année.  Le taux de chômage s’élève à 12,3%, il est de 61,2% chez les jeunes entre 15 et 24 ans ayant un diplôme supérieur, de 30,4 % pour ceux détenteurs d’un diplôme moyen et de 12,9% pour les jeunes n’ayant aucun diplôme. Encore pire, près d’un million et demi des jeunes âgés entre 15 et 24 ans n’appartiennent pas au marché du travail, ne suivent ni formation ni aucune activité professionnelle.

Les préoccupations du régime marocain sont très loin de la réalité des marocains. Lui, absorbé par le conflit du Sahara Occidental, est prêt à tout sacrifier pour se sauver la face. Depuis 2009, les dépenses militaires ont doublé, passant de 2,36 Md$ en 2009 à 4,12 Md$ en 2019. En 2020, alors que la crise du Covid-19 frappe l’économie marocaine – et les marocains- de plein fouet, les dépenses militaires ont occupé 11,7% du budget de l’Etat, soit 4,8 milliards de dollars. Il est indispensable de rappeler qu’au titre de la même année, le roi Mohammed VI s’est offert un luxueux hôtel au centre de la Capitale des Lumières tout près de la Tour Eiffel, étendu sur une superficie de 1000 m² contre une somme de 80 millions d’euros.

Les dépenses militaires du Royaume chérifien n’ont pas cessé d’augmenter, en 2021 le montant s’est affiché à 5,4 Md$ et continuera sa tendance haussière, a fortiori avec l’acharnement des tensions stimulées par le conflit du Sahara Occidental. Par ailleurs, le projet de loi de finances de l’année budgétaire 2023 autorise à l’Administration de la défense nationale d’engager un montant de 119,766 MMDH, soit 11,21 Md$, pour l’acquisition, la réparation des matériels des Forces Armées Royales et le soutien au développement de l’industrie de défense, selon l’article 38 du projet de loi.

En revanche, les ressources du pays sont très limitées. N’étant pas un pays pétrolier il se base à 86,15% moyennant sur ses recettes fiscales pour concevoir son budget, et pourtant son système fiscal non équitable lui génère un manque à gagner énorme, notamment à cause des facilitations dédiées à certaines catégories de contribuables et, le non recours à d’autres impôts et taxes pouvant générer des sources de financement supplémentaires telles que l’impôt sur la fortune, sur les successions, la taxe sur les superprofits…etc.

Même dans les conditions actuelles, où l’économie marocaine souffrent d’immenses embarras, le Maroc a passé une commande ferme composée de 150 drones auprès de BlueBird Aero Systems, géant israélien de l’industrie de défense. Selon un article publié en Septembre dernier par le quotidien israélien Haaretz, le Maroc continue d’investir davantage dans l’armement. Les derniers achats provenant de son ami et partenaire le plus cher, Israël, ont compris des armes, des missiles et d’autres matériels militaires, à savoir le système antimissile Iron Dome et les missiles air-sol. L’hypothèse d’un conflit armé qui se déclenchera entre le Maroc et son voisin ennemi l’Algérie est probable pour des spécialistes du domaine, ce qui explique cette compétition entre les deux pays en termes d’armement. L’Algérie ayant dépensé, en 2019, 17,4% de son budget dans l’armement se positionnent aujourd’hui comme 31e puissance militaire mondiale sur 140 pays, tandis que le Maroc en est sur la 55e position.

 

Crédits photo : Un mur d’enceinte à Rabat, la capitale du Maroc

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