Sommes-nous à l’aube d’un nouveau conflit dans le Golfe ?

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06.01.2020

Certains, sur Twitter notamment, se posent la question, alors que le Moyen-Orient est déjà parcouru par les conflits internationaux.

Un conflit ouvert entre les Etats-Unis et l’Iran n’a jamais semblé aussi proche, lit-on un peu partout, depuis l’assassinat, vendredi 3 janvier, du général iranien Ghassem Soleimani par Washington. Pas un jour ne se passe sans qu’une escalade, dans les mots ou dans les gestes, ne se fasse, entre les deux parties. Qui, visiblement, laissent enfin éclater toute la rancœur et la haine qu’elles nourrissent l’une pour l’autre. Notamment depuis que Donald Trump a pris les rênes de la Maison-Blanche, il y a trois ans, et a retiré les Etats-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien.

Samedi, dans la soirée, des factions pro-iraniennes on attaqué l’ambassade américaine à Bagdad, faisant clairement comprendre que des « représailles », selon le mot de Téhéran, pourraient avoir lieu prochainement. Quelques heures plus tard, les Brigades du Hezbollah, mouvement chiite irakien affilié à la République islamique, ont appelé les forces de sécurité irakiennes à s’éloigner « d’au moins 1 000 mètres » des bases où se trouvent les soldats américains. Là aussi, avec un message clair : les Etats-Unis, le « grand satan », pourraient avoir à subir le courroux de l’Iran.

Washington, qui, par la voix de son secrétaire à la Défense, Mike Pompeo, a qualifié les membres des Brigades de « voyous », n’a pas mis longtemps à « répliquer ». Le président américain a averti Téhéran, samedi, que son administration avait identifié 52 sites en Iran – le chiffre fait référence aux 52 Américains retenus en otage pendant plus d’un an à partir de 1979 au sein de l’ambassade des Etats-Unis à Téhéran – et les frappera « très rapidement et très durement », si la République islamique s’en prenait à un quelconque intérêt américain. Ce qui devrait arriver.

Arme nucléaire

« Il n’y a aucun doute sur le fait que la grande nation d’Iran et les autres nations libres de la région prendront leur revanche sur l’Amérique criminelle pour cet horrible meurtre », a déclaré le président iranien, Hassan Rohani, peu après l’assassinat de Ghassem Soleimani. Pas franchement va-t’en-guerre, plutôt modéré voire progressiste, le chef de l’Etat ne fait que mettre des mots sur un sentiment partagé par une (très) grande partie des Iraniens. Qui, vraisemblablement, ne seraient pas contre donner une « bonne leçon » aux Etats-Unis. Que va-t-il advenir ?

L’Iran a-t-elle perdu, avec la mort de son chef des opérations extérieures, tout espoir de rayonner dans la région, de l’Irak au Liban, en passant par la Syrie et le Yémen ? Non, assure-t-on à Téhéran, qui a déjà remplacé Ghassem Soleimani – même si celui-ci jouissait d’une popularité sans pareille en et autour de l’Iran. Y aura-t-il effectivement « vengeance », comme l’appellent de leur vœux tous les responsables iraniens, notamment en Irak ? Non, répond-on à Washington, qui mise sur le sentiment anti-iranien régnant à Bagdad pour emporter cette partie de poker.

Ghassam Soleimani, architecte de la politique iranienne au Moyen-Orient, décédé non loin de Bagdad vendredi 3 janvier à la suite d'une frappe américaine.

Problème, pour les Etats-Unis, s’il existe bien un ressentiment en Irak pour l’encombrant voisin iranien, le parlement a obligé le gouvernement, dimanche, à chasser les soldats américains du sol irakien. Le Pentagone, qui dispose encore de 5 200 hommes en Irak, avait pourtant décidé d’en envoyer 3 000 à 3 500 en renfort, vendredi dernier. Peu avant la décision du parlement irakien, les Iraniens, disant « douter » du courage des Américains à mettre leurs menaces à exécution, avaient quant à eux précisé qu’ils accélèreraient le processus d’obtention de l’arme nucléaire…

« Guerre économique »

Malgré la décision des députés irakiens, le conflit n’a donc jamais semblé aussi proche, entre les Etats-Unis et l’Iran. Et sur Twitter, les hashtags évoquant une potentielle « Troisième Guerre Mondiale » envahissent les écrans – parfois de manière très légère – depuis quelques jours. La question qui se pose, pourtant, n’est pas de savoir si un troisième conflit mondial verra le jour, ni quand il aura lieu, mais plutôt pourquoi nous ne pouvons mettre fin aux affrontements qui parcourent déjà, et ce depuis plusieurs années, cette « poudrière » qu’est la région du Moyen-Orient.

Syrie : des centaines de milliers de morts et des millions de déplacés. Yémen : des dizaines de millier de morts et des millions de personnes risquant la famine. Gaza : des centaines de morts et un blocus qui paralyse l’économie et la vie d’un territoire. La guerre est là, déjà, sous nos yeux, bien présente. Mais parce que nous n’en maîtrisons pas les codes, nous ne nous en offusquons pas. Au Yémen, le conflit est même mondial, si l’on se place sur le terrain de la « guerre économique ». La France et les Etats-Unis, notamment, ne fournissent-ils pas l’Arabie saoudite en armes fraîches ?

Pour rappel, Riyad tue, dans le sud de la Péninsule arabique, avec ces armements. Parce que la mondialisation nous a incité à revoir nos schémas d’échanges, elle doit également nous obliger à revoir notre vocabulaire. Oui, Paris tout comme Washington, par leurs exportations, participent au conflit yéménite. Pourquoi cela ne choque-t-il personne ? Pourquoi faut-il qu’un général iranien se fasse assassiner pour, subitement, ouvrir les yeux ? Et si Staline avait raison, lorsqu’il disait qu’ « un mort est une tragédie ; un million de morts une statistique » ?

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