Yémen : comment l’ONU sauvera-t-elle l’accord d’Hodeïda ?

Il y a peu de chance pour que la situation globale s’améliore, au Yémen, si le processus politique n’est pas davantage inclusif.

Le 30 janvier dernier, Martin Griffiths, l’envoyé spécial des Nations unies (ONU) pour le Yémen, bouclait son troisième voyage en un mois dans le pays, où il a de nouveau exhorté les parties belligérantes à retirer leurs troupes de la ville portuaire de Hodeïda, la porte d’entrée de l’aide humanitaire pour des millions de Yéménites affamés. Avec cette troisième visite, le diplomate britannique a tenté de préserver l’accord minimal qu’il avait réussi à conclure avec certaines des parties belligérantes en décembre ; un accord considéré par la communauté internationale comme un succès, après plusieurs années d’échecs successifs.

Signe de mauvaise foi

Mais les négociations de Stockholm, chapeautées par les Nations unies, n’ont à ce jour entraîné que peu de changement sur le terrain. Le cessez-le-feu a plus ou moins tenu jusque-là, dans la mesure où les rebelles Houthis et le gouvernement du Yémen (GOY) ne l’ont pas complètement abandonné. Mais des affrontements sporadiques ont éclaté dans certaines parties de la ville, ainsi que dans les districts du sud, et augmentent chaque semaine. Une équipe de monitoring de l’ONU poursuit actuellement ses efforts pour mettre en œuvre la prochaine étape de l’accord. A savoir, un redéploiement mutuel hors des ports et de la ville de Hodeïda. 

Problème : cette équipe de 75 membres, mise en place par une résolution du Conseil de sécurité, adoptée le 16 janvier dernier, a été accusée de partialité par les Houthis. Et fut la cible d’une attaque contre l’un de ses convois. Jusqu’à une période récente, les rebelles boycottaient d’ailleurs constamment les réunions destinées à discuter des détails du redéploiement des troupes. Si bien que la présence internationale, au Yémen, ne devrait déboucher sur aucun consensus sur la manière de procéder au redéploiement des troupes. Ceci alors que de nouvelles discussions, soutenues par l’ONU, doivent se dérouler dans les prochains jours.

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Dans le reste du pays, les affrontements se sont poursuivis, voire même accélérés. Notamment à Taïz (sud-ouest), région qui connaissait pourtant une désescalade entre les parties, comme l’avaient souligné les négociations de Stockholm. Non loin de là, à Lahij, une attaque perpétrée le 10 janvier dernier par les Houthis, lors d’un défilé militaire, a tué six officiers et responsables de haut rang des forces gouvernementales. Ce qui, dans le cadre de la recherche d’une solution politique au conflit, a été interprété comme un signe de mauvaise foi, concourant à l’atmosphère actuelle de méfiance continue. La coalition menée par l’Arabie saoudite de répliquer en conduisant des frappes à une intensité peu égalée.

Conflit multifacettes

Dans le sud, le mécontentement des populations locales face à la mauvaise situation économique, la sécurité fragile et la présence persistante d’acteurs internationaux tels que les Emirats arabes unis (EAU) et l’Arabie saoudite, ne fait que se renforcer. Provoquant souvent des affrontements. Au cours des dernières semaines, les sit-in et autres manifestations sont devenus monnaie courante, dans cette partie du pays, motivés par la rhétorique sécessionniste des groupes politiques du sud. Qui, pour rappel, ne faisaient pas partie des discussions de Stockholm. Il y a d’ailleurs peu de chance pour que la situation globale s’améliore, au Yémen, si le processus politique n’est pas davantage inclusif.

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Car jusqu’à présent, seuls les Houthis et le gouvernement d’Abd Rabbo Mansour Hadi ont pris place à la table des négociations. Sauf que le conflit yéménite comprend actuellement une variété d’affrontements locaux interconnectés, impliquant des puissances régionales en concurrence sur des intérêts stratégiques spécifiques. Si le premier niveau, le plus visible, occupe les rebelles et les forces loyalistes, un deuxième intéresse effectivement les positions sécessionnistes du Conseil de transition du sud (CST), l’organisation politique créée en mai 2017 par l’ancien gouverneur d’Aden, Aïdarous al-Zubaïdi, et le leader salafiste Hani ben Brik. Qui, au grand dam du président Hadi, a étendu son influence dans les gouvernorats du Sud, grâce à un vaste réseau de milices soutenues par les EAU – dont certaines se battent contre les Houthis à Hodeïda.

Il y a dès lors peu d’espoir que le processus de paix puisse aboutir, si les différentes parties du Sud ne sont pas invitées à négocier. Car elles ont la capacité de perturber tout accord qui serait conclu sans leur participation, y compris par le biais de leurs soutiens régionaux. Sans compter qu’à un moment donné, la communauté internationale devra se pencher sur le troisième niveau du conflit, que représente l’insurrection islamiste lancée par Al-Qaïda dans la Péninsule arabique (AQPA) et la branche yéménite de l’Etat islamique (EI). Souvent en concurrence, les deux groupes ont cependant été vus combattant les Houthis, aux côtés des milices pro-gouvernementales, à Al Bayda, Taïz et dans le gouvernorat de Chabwah, complexifiant encore un peu plus ce conflit multifacettes.

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