La musique de Tamino rompt l’étanchéité entre Orient et Occident, balayant d’un revers de main toute considération identitaire.
Douce et grandiose était la soirée passée au concert de Tamino. Dans la salle comble du Zénith de Paris, la magie a opéré, et ce n’est sans doute pas un hasard si l’artiste en a fait le titre éponyme de sa tournée Sahar — « sortilège » en arabe.
Magie du timbre vocal de Tamino. Celle d’être suspendus à ses lèvres, soufflés que nous étions par la puissance d’une voix capable de brasser 4 octaves dans un même morceau. Dans l’intimité du live, les mélopées mélancoliques et ténébreuses qui nous avaient déjà bouleversés sur l’enregistrement studio de ses albums, se révèlent dans toute leur ampleur, leur coffre. Et l’on se demande, alors, comment de cette frêle silhouette peut sortir un tel son, dextère, maîtrisé, vibrant. Un vrai mystère comme seule la musique peut nous en offrir.
Magie des compositions, aussi. Tamino infuse ses morceaux soft rock d’influences orientales. Alors que j’ai grandi, comme de nombreux enfants de la diaspora arabe, avec des influences musicales strictement séparées — l’Orient d’un côté, et l’Occident de l’autre, chacun dans son couloir de conduite — Tamino rompt cette étanchéité et mêle les deux dans un même entrelacs avec un naturel déconcertant, balayant d’un revers de main toute considération identitaire.
Qu’importe, au fond, d’où l’on vient, là n’est plus la question. Les vibratos vocaux inspirés des plus grands interprètes arabes (dont son propre grand père, Muharram Fouad, grand chanteur égyptien), les notes dorées de oud, une contrebasse tourmentée, donnent à ses morceaux une autre dimension. Ils en sortent comme grandis, augmentés. Par ces procédés, Tamino tord nos émotions, met nos poils au garde à vous.
Charme contenu
Et on est alors ému d’entendre des milliers de personnes exploser dans un tonnerre d’applaudissements, en redemander encore, de cette sonorité qui était si longtemps confinée à un ailleurs, qui prend toute sa place ici. On sourit et on en ressort guéri, de cette fusion réussie et de l’adhésion du public qu’elle emporte.
Il y a, çà et là, quelques morceaux moins prenants, presque décevants, comparés à des titres plus entêtants comme You Don’t Owe Me, Indigo Night, The Longing, et le clou du spectacle, Habibi. C’est qu’il nous a habitués au sublime, Tamino. C’est là tout le problème des prodiges.
Il y a aussi de la retenue, de l’introversion, de la pudeur presque. On attend l’explosion sur scène, le grain de folie d’un Jeff Buckley, dont certains disent qu’il est le digne héritier. Une comparaison qui l’agace, paraît-il. Cela se comprend, car au-delà d’une ressemblance indéniable — la moue sombre et le regard dilué, les boucles brunes, la guitare électrique en bandoulière, le lyrisme aussi — le rapprochement s’arrête là.
Si vous cherchez une bête de scène, il faudra passer votre tour. Du charme contenu, en revanche, oui, à n’en pas douter. En témoignent le duo qu’il forme avec Angèle, invitée surprise du concert, qui le cherche du regard durant tout le morceau Sunflower, ou les nombreux fans dans la fosse réclamant à plusieurs reprises au chanteur de tomber sa chemise. A ces appels du pied, ces insinuations sensuelles, Tamino ne répond pas, préférant donner comme seule réplique sa voix, ses chansons. C’est ce qu’il a de mieux à offrir, finalement.
