Les armes chimiques en Syrie, la justice internationale et le mépris

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06.05.2019

Il sera très difficile de juger Damas pour ses attaques chimiques sur des civils syriens, malgré les preuves avancées.

Où en est le dossier sur les armes chimiques utilisées par le régime syrien contre sa population ? Alors que Damas, bien épaulée par ses alliés russes et iraniens, tente de vendre à l’Occident sa narration sur la fin de la guerre, plus trop de nouvelles (ou presque) des attaques chimiques supposées des forces de Bachar al-Assad contre des civils syriens, perpétrées à de nombreuses reprises, dont l’une le 7 avril 2018 à Douma, dans la banlieue de la capitale.

Tribunal spécial pour la Syrie

Le sujet, aussi grave que sensible, n’occupe plus tout à fait le haut des tablettes des Nations unies (ONU). Pourtant, le 1er mars dernier, l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) a rendu un rapport accablant sur l’attaque précitée. Puisqu’elle y affirme qu’un agent chimique toxique (la chlorine en l’occurence) a bel et bien été utilisé, en se gardant bien de désigner un quelconque responsable. Tout trouvé, en revanche, pour la France et le Royaume-Uni.

Les ministres des Affaires étrangères des deux pays, à l’époque, avaient ainsi ouvertement demandé au régime syrien de mettre fin à son programme d’armes chimiques. Ce qu’il s’était engagé à faire en 2013 déjà, après une attaque au gaz sarin dans la Ghouta orientale (banlieue est de Damas). Sans passer à l’acte, donc, faisant porter la responsabilité de ces attaques chimiques aux rebelles syriens. Une version que l’OIAC avait toutefois pu rejeter.

En octobre 2018, la BBC publiait une enquête montrant à quel point les armes chimiques ont joué un rôle important dans la stratégie de Bachar al-Assad. Selon le média britannique, au moins 106 attaques chimiques ont eu lieu en Syrie de 2014 à 2018.

La semaine dernière, Le Monde faisait savoir qu’un tribunal international spécial pour la Syrie était de nouveau à l’étude. « La création d’un tribunal pénal international spécial est une nécessité, mais il ne pourrait être basé en Syrie, même dans la région kurde, car il aurait nécessairement vocation à juger non pas seulement les crimes de Daech [acronyme arabe de l’EI] mais ceux de tous les belligérants, à commencer par le régime », a même expliqué au quotidien français Carla Del Ponte, ancienne procureure du tribunal pour l’ex-Yougoslavie. Qui, approchée par les Kurdes pour devenir la présidente dudit tribunal, a toutefois « décliné ».

Règles éthiques essentielles

Problème : la mise en place d’une juridiction internationale pour la Syrie s’avère extrêmement compliquée. Il faut notamment obtenir l’aval du Conseil de sécurité, et l’on sait qu’en 2014 et 2015, la Russie et la Chine avaient déjà mis leur veto à l’instauration d’un tribunal spécial. Ce qui a fait dire à Carla Del Ponte :

« La guerre syrienne n’incarne pas tant l’échec de la justice internationale ; c’est celui de l’ONU et de la communauté internationale elle-même qui n’a pas réussi à mettre sur pied un tribunal international à même de juger les crimes commis, qui sont d’une ampleur inédite y compris par l’utilisation des armes chimiques contre les civils ».

Mais comment cette communauté internationale aurait-elle pu agir, alors qu’il suffit d’un veto, au sein du Conseil de sécurité de l’ONU, pour faire s’écrouler tout espoir de résolution allant en ce sens ? Le 24 octobre 2017, la Russie n’a-t-elle pas ainsi empêché la reconduction du mécanisme international d’enquête conjoint à l’OIAC et à l’ONU (le JIM) ? Plus que l’ « échec de la justice internationale », de l’ONU ou de la communauté internationale, il convient de pointer du doigt les vrais responsables. A savoir les acteurs, comme Moscou, qui bafouent des règles éthiques essentielles – et le droit international tout simplement – au profit d’intérêts géopolitiques… assez méprisables.

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