Football africain : plus de guerre que de jeu

Dans les travées de ses instances comme sur Internet, le football africain déchaine les passions. Mais rarement les bonnes.

Cette semaine, le football africain a encore été le théâtre d’une mascarade. La finale de la Ligue des champions africaine a viré au scandale, entre l’Espérance sportive de Tunis (EST) et le Wydad athletic club (WAC) de Casablanca. Le second quittant le terrain, après que l’arbitrage vidéo (VAR) a fait des siennes, sacrant ainsi l’équipe tunisienne. Mais, rebondissement : les Marocains se sont plaints auprès de la Confédération africaine de football (CAF), qui a décidé de faire rejouer le match retour. Dans le même temps, son président, Ahmed Ahmed, réputé proche du royaume chérifien, a été interpelé à Paris dans le cadre d’une affaire de corruption…

Une décision anti-fairplay d’un côté – car rien au monde ne semble justifier le retrait volontaire d’un club du rectangle vert -, le Wydad misant sur un problème d’insécurité pour faire adhérer la CAF à sa cause. Qui intensifie d’ailleurs les attaques de tout bord entre deux « pays frères ». De l’autre, des magouilles qui n’en finissent pas d’éclater au grand jour. Décidément, depuis des décennies, le football africain déchaine les (mauvaises) passions. A l’extérieur du terrain surtout.

« Abus de position dominante »

Rien d’étonnant, par conséquent, à ce que la CAF, créée en 1957, demeure boudée par les Africains. Qui ne voient dans cette instance que mauvaise gestion, organisation fébrile et corruption. Il faut dire que le football africain, qui ne manque pas de stars, fait couler beaucoup d’encre et voit défiler les scandales à chaque fois qu’une grande manifestation sportive a lieu…

Créée au Soudan, on reproche par exemple à la CAF, dont le siège se trouve en Egypte, d’être dominée par le lobby égyptien, qui dicte les règles du jeu et se retrouve souvent au cœur de manœuvre douteuses, au profit des clubs nationaux. Et, bien sûr, de la sélection égyptienne. Combien de fois les équipes du Maghreb et celles d’Afrique subsaharienne ont-elles crié au scandale, réclamé justice après des matches arbitrés par la corruption ?

Celle-ci inonde le football africain jusque dans les travées de la CAF. Dont l’ex-président, Issa Hayatou, fut d’ailleurs condamné en novembre dernier à 500 millions de livres égyptiennes (environ 24,5 millions d’euros) d’amende, pour « abus de position dominante » dans une affaire de droits (juteux) télévisés, par le tribunal de commerce du Caire. Pourtant, la Confédération africaine, au sein de laquelle le football tient une place presque marginale, derrière les intérêts financiers en jeu, n’est pas le seul ennemi de ce sport.

Début d’un nouveau match

Il convient effectivement de le reconnaitre : nous sommes nous-mêmes en manque de fairplay et d’esprit sportif, car ce sport que nous aimons tous nous rend parfois aveugles et nous divise au lieu de nous réunir. Le football en Afrique, c’est tout un concept : il est souvent à l’origine de guerres médiatiques entre deux régions, deux pays et parfois deux populations d’un seul et même pays ; on s’éloigne alors de la compétition et on se met à s’insulter, n’épargnant ni origines, ni religions, ni couleurs de peau…

L’on devient sans pitié pour un trophée, pour des millions qu’on ne touchera jamais. Simplement pour l’amour présumé d’un club. Et cet amour peut rapidement mener à la haine. Lorsque le club que l’on chérit connait les affres de la défaite, ne devient-on pas mauvais perdant ? Ne lynche-t-on ou n’insulte-t-on pas les adversaires ? L’embrasement post-finale de la Ligue des champions africaine, entre l’Espérance sportive de Tunis et le Wydad athletic club de Casablanca, vient nous le rappeler : il suffit d’un rien pour que des supporters fassent chavirer le Web, qui accueillit en l’occurrence l’irritation des Marocains.

Beaucoup d’internaute du royaume se sont effectivement livrés à cet autre sport qu’est le lynchage. Des insultes par-ci, des blasphèmes par-là ; les supporters de l’EST, sur Twitter et ailleurs, se faisant traiter de mécréants, de corrompus, voire d’adeptes de la « normalisation sioniste »… Après quoi les Tunisiens ont commencé à répliquer, et le début d’un nouveau match, médiatique, haineux, « populaire », fut sifflé. Le Maroc et la Tunisie, pays frères vous dites ?

Constat morose : si le football appartient à la culture, nous ne sommes définitivement pas assez « ouverts » pour nous réclamer de celle-ci. L’Afrique, l’une des plus grandes usines à joueurs internationaux et talents, doit observer une révolution des mentalités avant de s’attaquer à la révolution du football – dont fait partie l’arbitrage vidéo par exemple. Sinon, le jeu continuera de s’effacer au profit de la « guerre ».

Partages