Sur les ordres du prince héritier saoudien, Mohamed ben Salman, des dizaines de personnalités haut-placées ont été arrêtées samedi 4 novembre dans le pays.
Onze princes et quatre ministres en exercice, des hommes d’affaires et des grands noms des médias. Samedi 4 novembre, sous couvert de lutte anti-corruption, le prince héritier d’Arabie saoudite, Mohamed ben Salman – surnommé « MBS » –, a orchestré la plus grande purge jamais connue dans le pays, dont la création remonte aux années 1930. « Une opération coup de poing » pour Fatiha Dazi-Héni*, politologue spécialiste de la Péninsule arabique, « précédée au mois de septembre par une vague d’arrestation de personnes qui exprimaient leur désaccord avec la politique du prince ou la concentration de ses pouvoirs. »
« Cohérence stratégique »
MBS, souvent présenté comme le « fils préféré » de l’actuel souverain d’Arabie saoudite, le roi Salmane, empile effectivement les casquettes : prince héritier, vice-Premier ministre, ministre de la Défense, président du Conseil des affaires économiques, chargé de la stratégie pétrolière du pays et, depuis deux jours, à la tête de la commission anti-corruption fraichement créée. Pour beaucoup, la chose est entendue : Mohamed ben Salman cherche à s’imposer aux yeux de tous comme le futur roi, et l’étendard anti-corruption n’est qu’un prétexte. « La corruption permet de légitimer un coup politique vis-à-vis de la population » d’après Frédéric Encel*, géopolitologue.
La question qui se pose à présent, selon lui, est de savoir ce qui va se passer dans les prochaines semaines. « Je ne crois pas qu’il puisse y avoir de procès rapides et des incarcérations de personnalités », qui sont tout de même en résidence surveillée actuellement. Pour Fatiha Dazi-Héni, « il y a une vraie cohérence stratégique » dans le coup de filet opéré par MBS. « Pour le moment, le prince concentre tous les pouvoirs entre ses mains mais il va s’appuyer sur de nouvelles alliances » qu’il est d’ailleurs en train de « régénérer ». Le but ? Se tourner vers « une nouvelle génération » pour gouverner.
« Il est contesté par une partie des princes »
Fin octobre, lors d’un forum économique, il avait déclaré qu’il souhaitait un pays « modéré », loin de l’image rigoriste que l’on peut se faire de l’Arabie saoudite. Dont la « religion d’Etat » n’est autre que le wahhabisme, un courant radical de l’islam qui inspire aujourd’hui la plupart des organisations djihadistes. « Nous n’allons pas passer trente ans de plus de notre vie à nous accommoder d’idées extrémistes et nous allons les détruire maintenant » avait-il martelé. MBS « souhaite assoir son pouvoir tant que son père est là » explique Agnès Levallois*, consultante spécialiste du Moyen-Orient. « Il prend tous les moyens pour affirmer de manière solide son pouvoir, parce qu’il est contesté par une partie des princes » qui voient d’un mauvais œil, notamment, ses envies de changement.
Tout comme la population, qui bien que majoritairement jeune – 70 % des Saoudiens ont moins de 30 ans –, reste assez conservatrice. « Aujourd’hui, les gens ne savent pas où va l’Arabie saoudite et ils ont peur, ils ne sont pas forcément contents de ce qui se passe actuellement mais ne peuvent pas l’exprimer » renseigne Clarence Rodriguez*, journaliste et correspondante à Riyad entre 2005 et 2017. Une raison toute simple à cela : les manifestations sont interdites dans le pays. Une mesure que le prince héritier, une fois sur le trône, essaiera peut-être de modifier. C’est lui qui est à l’origine du droit de conduire pour les femmes, par exemple, ainsi que de celui d’ouvrir des salles de cinéma.
*Intervenant dans l’émission C dans l’air du lundi 6 novembre 2017.

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