Ventes d’armes à l’Arabie saoudite : un « procès historique » au Royaume-Uni

En avril 2019, des ONG opposées au commerce des armes interviendront dans un procès en appel au Royaume-Uni.

La question des exportations d’armements vers l’Arabie saoudite – de leur interdiction, surtout – progresse. Doucement mais sûrement. Les ONG Human Rights Watch (HRW), Amnesty International (AI) et Rights Watch UK (RWUK) viennent de recevoir l’autorisation d’intervenir dans une affaire judiciaire, contestant la poursuite des ventes d’armes du Royaume-Uni aux Saoudiens. Un « procès historique », d’après le communiqué publié mardi 5 novembre par HRW, intenté par Campaign Against Arms Trade (CAAT), visant « à établir que le gouvernement britannique viole ses propres critères de licence d’exportation d’armes en continuant à vendre des armes à l’Arabie saoudite, étant donné le risque évident que ces armes soient utilisées pour commettre de graves violations du droit international humanitaire au Yémen. »

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Empêtré dans un conflit meurtrier – les derniers chiffres connus, faisant état de 10 000 morts, datent de 2016 – chez son voisin yéménite depuis mars 2015, le royaume saoudien essuie régulièrement des critiques pour ses interventions hasardeuses, faisant davantage de morts côté civil que côté militaire. En août dernier, un raid aérien conduit par Riyad – qui chapeaute une coalition de pays arabes venant en aide au président yéménite, Abd Rabo Mansour Hadi, face aux rebelles Houthis – a par exemple tué quarante enfants dans le nord du Yémen. Récemment, les Nations unies (ONU) ont rapporté que le 24 octobre, la même coalition a frappé une usine d’emballage de légumes, tuant 21 civils et portant un coup à l’économie du pays, exsangue, qui affronte par ailleurs « la pire crise humanitaire du monde » selon l’ONU.

Armes tricolores

« Depuis que la coalition a lancé sa campagne aérienne au Yémen en 2015, le Royaume-Uni a autorisé la vente d’armes à l’Arabie saoudite pour au moins 4,7 milliards de livres », affirme le communiqué de HRW. Qui s’appuie sur de nombreux rapports sur l’utilisation d’armes au Yémen, y compris de confection britannique, rendus par ses chercheurs. Problème : Londres, signataire en 2013 du Traité sur le commerce des armes (TCA), entré en vigueur l’année suivante, et de la position commune de l’Union européenne (UE) sur le sujet, ne peut, sans enfreindre ces textes, vendre du matériel militaire à un Etat susceptible de bousculer l’équilibre d’un autre Etat. Un dilemme, entre argent et moral, que connait bien la France, pressée avec de plus en plus d’intensité de revoir sa politique d’exportations d’armes au Moyen-Orient.

En mars dernier, Amnesty International France – qui témoignera au cours du procès britannique – avait rendu, avec l’ONG ACAT, une étude juridique affirmant que Paris pourrait être reconnue coupable de crimes de guerre, à cause des armes tricolores utilisées dans les affrontements entre coalition saoudienne et rebelles Houthis. « Il est possible que la France ait fourni des pods de désignation laser à l’Arabie saoudite après le début du conflit en 2015. Ces instruments, qui équipent les avions de chasse, permettent de guider des bombes laser ; or on sait que des bombes à guidage laser ont été utilisées par les Saoudiens et les Emiratis pour effectuer des bombardements, sur des positions civiles notamment », affirmait au Monde arabe Aymeric Ellui, chargé de mission chez Amnesty International France, en septembre dernier.

Affaire Khashoggi

Malgré tout, la France semble refuser, pour l’instant, de suspendre ses ventes d’armes à l’Arabie saoudite. Questionné à ce sujet après l’assassinat du journaliste saoudien, Jamal Khashoggi, à Istanbul (Turquie), le 2 octobre dernier – dont tout indique qu’il a été commandité par le prince héritier saoudien, Mohamed ben Salman -, le président français, Emmanuel Macron, avait estimé qu’il s’agissait de « pure démagogie ». Tout au plus a-t-il mentionné des « sanctions » contre le royaume. Mais « l’assassinat de Jamal Khashoggi […] ne fait que souligner l’absence d’enquêtes crédibles et l’absence de responsabilité de la part du gouvernement au cours de la campagne militaire menée depuis des années au Yémen », estime Clive Baldwin, conseiller juridique chez HRW, pour qui les deux affaires sont liées, d’une certaine façon.

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L’affaire Khashoggi comme la guerre au Yémen – la première ayant d’ailleurs remis sur le devant de la scène médiatique la seconde – sont désastreuses pour l’image de l’Arabie saoudite. Engagée par ailleurs dans un processus de modernisation à tout crin de l’Etat. Un paradoxe permis, pensent les ONG anti-commerce des armes, par le silence complice des pays vendeurs d’armes, qui, s’ils stoppaient leur juteux business, mettraient Riyad face à ces contradictions. A la place, les Occidentaux, parce qu’ils peinent à parler d’une seule et même (sévère) voix, semblent encourager les Saoudiens à poursuivre dans l’excès. « Le Royaume-Uni ne devrait pas attendre l’audience du tribunal pour enfin cesser de vendre des armes à l’Arabie saoudite », selon Clive Baldwin, alors que le procès interviendra en avril 2019.

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