Sommet du CCG : le Qatar a « gagné la crise diplomatique »

Le 41ème sommet du Conseil de coopération du Golfe se tenait mardi dernier à Al-Ula, en Arabie saoudite.

Après trois ans et demi de crise diplomatique avec ses voisins, qui lui reprochaient ses accointances avec l’Iran et son soutien au terrorisme dans la région, le Qatar vient officiellement de réintégrer le concert des pétromonarchies. « Il a été décidé aujourd’hui [mardi], grâce à la sagesse de dirigeants du Golfe et de l’Égypte, de tourner la page et de rétablir toutes les relations diplomatiques » avec Doha, a déclaré le prince Fayçal al-Saoud, le chef de la diplomatique saoudienne, à l’issue du 41ème sommet du Conseil de coopération du Golfe (CCG). Mais que penser de l’accord dit « de solidarité et de stabilité », signé dans la foulée et destiné à apaiser les tensions entre le Qatar et, notamment, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis (EAU) ? Nos questions à Sébastien Boussois, politologue et chercheur spécialiste de la région.

L’accord d’Al-Ula, dit « de solidarité et de stabilité », met-il fin à la « crise du Golfe », qui dure depuis juin 2017 ?

Disons que l’accord signé le 5 janvier dernier, lors du sommet du Conseil de coopération du Golfe (CCG), ouvre une nouvelle dynamique dans les relations entre ses différents membres. Après trois ans et demi d’un blocus décrété unilatéralement par les membres du « quartet » [Arabie saoudite, Émirats arabes unis (EAU), Bahreïn et Égypte, ndlr], Arabie saoudite et EAU en tête, il semblerait que les termes de l’accord poussent à un abandon total des treize exigences émises par les Saoudiens et les Émiratis à l’encontre du Qatar. Qui a donc, d’un certain point de vue, « gagné » la crise diplomatique, malgré le barrage complet de ses voisins à son encontre. N’oublions pas que pendant trois ans et demi, Doha a tout fait pour compenser la perte de ses relations économiques et diplomatiques avec les membres du quartet, en étoffant son réseau d’alliances régionales et augmentant son « soft power », l’un de ses atouts principaux.

La géopolitique du Golfe est-elle de facto redéfinie ?

Fondamentalement, je ne pense pas que cet accord change quoi que ce soit à la géopolitique régionale. Le Qatar a une vision propre du Moyen-Orient, très opposée à celle des EAU ou de l’Arabie saoudite. Je dirais qu’il s’agit plutôt d’un accord « cosmétologique » : d’une part, l’avenir du Moyen-Orient n’est absolument pas tracé ; d’autre part, les différents terrains conflictuels attisés par les Saoudiens et les Émiratis ne correspondent en rien à ce que souhaitait insuffler le Qatar au moment des « printemps arabes ». Il convient d’ailleurs de prendre en compte l’évolution à venir de ces terrains de transition démocratiques, tout comme les pays en guerre (Yémen, Libye), car ce que l’on appelle la « rue arabe » pourrait ressurgir à tout moment. Rappelons ici que les EAU ont tenté d’imposer sur les terrains post-révolutionnaires des régimes autoritaires ou militaires, qui ne pourront toutefois pas tenir sur la durée, et ne pourront pas continuer à cadenasser pendant des décennies les populations.

Vient-on d’assister à une forme de renaissance du CCG ?

Je crois qu’il faut mesurer l’impact de ce sommet du CCG et apporter un certain nombre de nuances. Certes l’on a assisté à grand renfort de caméras à l’embrassade entre Mohammed ben Salman et l’émir du Qatar. Mais je crois que le prince héritier saoudien n’avait pas beaucoup d’autres choix que d’essayer de se réconcilier a minima avec un certains nombre de dirigeants arabes. « MBS » est dans une situation complexe : son image est détestable et sa politique catastrophique depuis qu’il est arrivé aux manettes. De plus, Donald Trump, qui l’a toujours soutenu, s’en va. Le fils de l’actuel roi saoudien cherche coûte que coûte à maintenir un leadership sur l’ensemble du Moyen-Orient, notamment pour contrer l’Iran et la Turquie. Or pendant de nombreuses années, l’émir du Qatar a multiplié les relations stratégiques et diplomatiques avec Ankara afin d’assurer sa survie. Je pense donc plutôt que Doha peut jouer le rôle qu’elle a toujours joué au sein du CCG : celui de médiateur entre les différents mondes musulmans et les différentes aires géopolitiques.

Que dire de l’absence de Mohammed ben Zayed, le prince héritier des EAU, à ce sommet du CCG ?

L’absence du leader émirati à ce sommet censé être historique est une grande ombre au tableau, qui me fait fortement douter de la viabilité de l’accord signé entre les membres du CCG. Soyons francs : les EAU ne sont pas prêts à vouloir faire la paix avec le Qatar, tout simplement parce que les deux parties se détestent – à commencer par leurs dirigeants – et possèdent une vision très opposée du Moyen-Orient. Mon scepticisme est renforcé par le fait que, depuis quelques années, Abou Dhabi cherche ouvertement à devenir la nouvelle Sparte régionale, et prendre par conséquent le dessus sur l’Arabie saoudite, au bord du gouffre économiquement. « MBZ » ne voudra sûrement pas rentrer dans le rang ; il devrait même plutôt profiter de l’Exposition universelle Dubai 2020 [qui débutera en octobre prochain, ndlr] pour présenter au monde une image acceptable de son pays, tout en ayant un agenda politique très obscure et régressif, voire violent pour la région. Les Émiratis vont jouer la carte de la « dissimulation par l’art », dont ils sont friands, vraisemblablement pour répondre à l’organisation par le Qatar de la Coupe du Monde de football en 2022. Une grande première, puisque pour rappel, le plus grand événement planétaire n’a jamais été organisé dans un pays arabe.

 

Crédits photo : Le prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed ben Salman, rencontre l’émir du Qatar, le cheikh Tamim ben Hamad al-Thani, lors du 41ème sommet du Conseil de coopération du Golfe (CCG) à Al-Ula, en Arabie saoudite, le 5 janvier 2021 (Reuters).

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