L’ONU a ouvert hier une enquête sur des attaques chimiques présumées du régime syrien perpétrées contre les rebelles.
La déroute de l’organisation Etat islamique (EI), en Syrie, est loin d’avoir marqué l’arrêt des combats dans le pays. Pas plus, d’ailleurs, que leurs excès. Alors que, depuis le 20 janvier, l’armée turque, aidée par les rebelles syriens, combat les Kurdes à Afrin (nord-ouest) notamment, le régime syrien, épaulé par l’aviation russe, bombarde la région d’Idlib (nord-ouest), dernière province encore tenue par l’opposition. Parmi les cibles, d’après les Nations unies (ONU), outre les marchés, où se réunissent en général de nombreux civils, ce sont les hôpitaux qui sont visés par les frappes.
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« Je suis atterré par les attaques qui se poursuivent contre des hôpitaux et des centres de santé dans le nord-ouest de la Syrie. Elles privent des centaines de milliers de gens de leur droit basique à la santé » avait à ce titre déclaré, fin janvier, le coordinateur régional de la crise syrienne pour l’ONU, Panos Moumtzis. Dimanche dernier, c’était au tour de l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH) d’alerter sur les pratiques du régime, accusé une fois de plus de recourir aux armes chimiques.
« Utilisation du sarin »
« Une odeur nauséabonde s’est répandue après que des hélicoptères du régime ont frappé plusieurs quartiers de la ville de Saraqeb dans la province d’Idlib » a effectivement précisé l’OSDH, citant plusieurs habitants et des sources médicales faisant état de l’utilisation d’un « gaz toxique ». Cinq civils syriens souffrant d’asphyxie ont d’ailleurs été hospitalisés, dimanche, après des bombardements du régime de Bachar al-Assad, a indiqué l’Observatoire.
Si l’utilisation d’armes chimiques, « signature » présumée de l’armée syrienne – mais également de Daech (acronyme arabe de l’EI) -, a depuis la première attaque répertoriée en octobre 2012 toujours été vertement critiquée par la communauté internationale, elle n’avait été confirmée par l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) qu’en juin dernier, après une attaque perpétrée dans la province d’Idlib en avril 2017. Sans que les experts n’incriminent qui que ce soit – ce n’est pas leur rôle.
« L’OIAC a confirmé l’utilisation du sarin, un agent neurotoxique, lors de l’incident du 4 avril à Khan Cheikhoun en Syrie. Je condamne fermement cette atrocité, qui contredit totalement les normes inscrites dans la Convention sur les armes chimiques » avait alors déclaré le directeur général de l’OIAC, le Turc Ahmet Üzümcü. « Les auteurs de cette horrible attaque doivent être tenus responsables de leurs crimes. Dans ce contexte, les travaux du Mécanisme commun d’enquête revêtent une grande importance » avait-il ajouté.
« Preuves évidentes »
Sauf qu’en novembre dernier, la Russie, alliée de Damas, a posé son veto au renouvellement du mandat du JIM (Mécanisme conjoint d’enquête de l’ONU et de l’OIAC sur l’utilisation présumée d’armes chimiques en Syrie ), alors que le Conseil de sécurité des Nations unies examinait une proposition du Japon à ce sujet. Si Moscou et Washington s’entendaient sur la durée de ce renouvellement – un an -, les Russes souhaitaient un « gel » du dernier rapport du Mécanisme incriminant le régime syrien après l’attaque au gaz sarin d’avril 2017. Ce qu’ont refusé les Américains.
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Les échanges avaient donné lieu à quelques passes d’armes entre les deux diplomaties, Nikki Haley, l’ambassadrice américaine à l’ONU, avertissant notamment son homologue russe, Vassily Nebenzia, que « vous serez tenus pour responsables des prochaines attaques. » Selon elle, tandis que « la Russie a tué le mécanisme d’enquête qui avait un soutien général dans ce Conseil […] le message est clair : [elle] accepte le recours aux armes chimiques en Syrie. » Le diplomate russe s’était contenté de pointer les « lacunes fondamentales » du JIM, ciblant le recueil de témoignages douteux notamment.
Rebelote avant-hier : Etats-Unis et Russie se sont affrontés à l’ONU à propos d’un texte américain, condamnant les attaques chimiques présumées du régime syrien dans la Ghouta orientale (banlieue de Damas), que Moscou n’a pas réussi à amender. Nikki Halley d’avancer à cette occasion des « preuves évidentes » pour confirmer le recours à du chlore par l’armée de Bachar al-Assad, « contre son propre peuple à de maintes reprises au cours des dernières semaines […] ».
« Produits non déclarés par la Syrie »
Le projet de texte américain, obtenu par l’AFP, souligne effectivement que le Conseil de sécurité « condamne dans les termes les plus forts une attaque présumée au chlore le 1er février à Douma, une ville de la Ghouta orientale dans la banlieue est de Damas, ayant blessé plus de 20 civils dont des enfants. » Il poursuit en évoquant une « grave préoccupation après maintenant trois attaques présumées au chlore dans la Ghouta orientale au cours des dernières semaines. Les responsables d’un recours aux armes chimiques, incluant le chlore ou toute autre substance chimique, doivent répondre de leurs actes » note-t-il par ailleurs.
Washington peut-elle d’ailleurs compter, sur ce sujet, sur le soutien de Paris ? François Delattre, le représentant permanent de la France auprès des Nations unies, n’a pas ergoté, lundi, sur « le recours à des substances toxiques comme armes [qui] n’ont jamais cessé en Syrie » : « Je rappelle que le régime syrien a déjà été identifié comme responsable dans quatre de ces cas, dont un cas d’utilisation de sarin, en violation du droit international humanitaire et des engagements pris par la Syrie lorsqu’elle a adhéré à la Convention d’interdiction des armes chimiques » en 2013, a-t-il déclaré.
Le diplomate français de pointer ainsi du doigt « la coopération du régime syrien avec l’OIAC [qui] se fait à la carte, depuis des mois », tout en alertant sur « l’état des stocks syriens […] toujours pas clarifiés » selon lui. Or, « je rappelle que les équipes d’experts de l’OIAC ont à de multiples reprises trouvé sur les sites syriens des indicateurs de produits non déclarés par la Syrie, sans que celle-ci n’ait fourni d’explication convaincantes. »
« Cynisme absolu » de Moscou
Si l’utilisation d’armes chimiques par le régime syrien était un secret de polichinelle, jusqu’à ce que l’organisation rende son rapport en juin dernier, elle est aujourd’hui une vérité, pour les Occidentaux, qui aggrave l’instabilité régionale, sape le régime de non-prolifération et affaiblit la sécurité internationale, toujours d’après M. Delattre. Et « la communauté internationale ne peut pas laisser cette situation se banaliser et les responsables de ces crimes odieux rester impunis » estime-t-il, alors que « la persistance d’attaques chimiques en Syrie viole la conscience universelle autant que les normes les plus fondamentales du droit international. »
Il parait pourtant bien difficile de faire avancer le dossier, extrêmement sensible. Pour Olivier Lepick, membre de la Fondation pour la recherche stratégique et spécialiste des questions de prolifération des armes, c’est même mission impossible « sans levée du veto russe », qu’il qualifie de « cynisme absolu », reflétant « la volonté [de Moscou] de protéger son allié syrien contre toutes les évidences ». Selon le chercheur, il faut d’ailleurs s’attendre à ce que de telles armes, « sous la forme rudimentaire », soient toujours utilisées dans les années à venir. Notamment « avec l’utilisation du chlore, dont il est totalement illusoire de penser que l’on pourrait en dénier la possession au régime syrien ».
Si le représentant de Damas à l’ONU, Bachar Jaafari, a réaffirmé lundi que son pays n’avait rien à voir avec de telles pratiques, les Nations unies ont tout de même ouvert une enquête hier sur les attaques chimiques présumées du régime syrien perpétrées contre les rebelles dans la province d’Idlib. Et le Conseil de sécurité de mentionner de son côté la création d’une entité pour prendre la relève du JIM. De quoi redouter de nouveaux échanges corsés entre Américains et Russes, tandis que le nombre de victimes, en Syrie, ne cesse d’augmenter.

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