Aux Mondiaux d’athlétisme de Doha, le sport a souffert

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07.10.2019

Certains athlètes n’ont pas caché leur mécontement à cause des conditions climatiques extrêmes subies.

Tout sportif professionnel le reconnaîtra sans doute : pour atteindre le haut niveau, il faut souffrir. Mentalement et physiquement. Lutter contre la fatigue, les blessures, le découragement ; répéter des gammes à n’en plus pouvoir. Le chemin pour atteindre le sommet, quelle que soit la discipline, passe forcément par la case souffrance. Une souffrance que l’on découvre au fur et à mesure de sa pratique. Et que l’on finit par adopter. « J’ai passé toute ma carrière à souffrir. Cela faisait partie du boulot, affirmait par exemple en 2008 le judoka et champion olympique français David Douillet. On ne se plaignait jamais. La blessure faisait partie du jeu. […] On contournait le problème physique en changeant la séance d’entraînement. Et pour la compétition c’était identique. »

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La souffrance pendant la compétition, certains sportifs qui participaient aux Mondiaux d’athlétisme de Doha (Qatar), du 27 septembre au 6 octobre, l’ont effectivement connue. Plus que de « raison ». Le jour de l’ouverture, le marathon féminin a ainsi donné lieu à 28 abandons. Rarement la santé des athlètes avait été mise à si rude épreuve. La raison ? La chaleur insupportable et les forts taux d’humidité (jusqu’à 70 %) qui ont régné sur Doha pendant 10 jours. On se souvient du marcheur tricolore Yoann Diniz, évoquant les « conditions dantesques » de ces Mondiaux, avant finalement d’abandonner son 50 kilomètres au premier tiers du parcourt.

Capsules rouges et blanches

« L’athlète ne se rend pas compte que l’effet de l’humidité est encore pire que celui de la chaleur. A vouloir courir sur ses bases habituelles, avec le même type d’effort, il va se retrouver rapidement en difficulté. Parce qu’il va y avoir une dérive du système cardio-vasculaire », avait prédit Jean-Michel Serra, le médecin de l’équipe de France. Qui avait employé un terme fort pour décrire les Mondiaux de Doha, les qualifiant d’ « expérimentation humaine », en vue de la Coupe du monde de football qui se déroulera dans l’émirat en 2022. « En fait, grosso modo, pendant deux semaines, vous allez avoir sur le stade quelques cobayes qui vont permettre à des footballeurs […] de mieux cerner les risques cardiaques et sportifs », avait-il lâché.

« Expérimentation humaine »« cobayes » : des mots employés à bon escient. Car il convient de rappeler que ces championnats du monde avaient un autre but que celui de la seule performance sportive. Environ 200 coureurs (volontaires) faisaient partie d’un projet de recherche de l’IAAF (l’Association internationale des fédérations d’athlétisme) sur les effets de la chaleur et de la température corporelle. Pour lequel ils ont dû avaler des capsules rouges et blanches (de la taille d’un médicament) contenant des émetteurs de données. Le but ? Analyser les « messages » envoyés par les corps en mouvement soumis à de fortes chaleurs, sur les pistes de Doha, afin de mieux pouvoir y répondre.

« Blanchiment aggravé »

Pour ce projet, l’IAAF – dont le président, le Britannique Sebastian Coe (double champion olympique du 1 500 mètres), ressort des Mondiaux très critiqué – s’est associée à Aspetar, une clinique d’orthopédie et de médecine du sport à Doha. Dont les Qataris veulent faire une sorte de « resort » régional pour sportifs blessés ou en convalescence. Le complexe – et plus globalement le sport – fait partie intégrante de la politique de l’émir pour « rayonner » à l’international. Et il n’est pas impossible que les autorités qataries souhaitent se servir des données accumulées lors des Mondiaux d’athlétisme à des fins « personnelles ». En 2016, les championnats du monde de cyclisme à Doha avaient donné lieu à de pareilles recherches sur la chaleur.

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A court terme, ces données pourraient éventuellement servir pour les Jeux Olympiques de Tokyo (2020), où les conditions climatiques devraient être tout aussi étouffantes qu’à Doha. A moyen ou long termes, elles pourraient entraîner une multiplication des compétitions sportives organisées dans ces pays chauds. Et pourquoi pas, en premier lieu, au Qatar. En attendant, Doha fait face à des soupçons concernant l’attribution des Mondiaux 2019. Au point que le Parquet national financier a ouvert une information judiciaire en 2016 pour « blanchiment aggravé » et « corruption ». Sans doute quelques mois de « souffrance » en perspective pour les autorités qataries. Quoi que.

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