La guerre en Ukraine met en lumière les divisions internes dans certains pays du Moyen-Orient

En Syrie, des panneaux proclamant « Victoire pour la Russie » sont apparus dans des quartiers de Damas cette semaine.

L’invasion de l’Ukraine par la Russie a fait ressurgir de profondes divisions au Moyen-Orient. Alors que l’influence américaine a diminué, Moscou s’est fait des amis puissants, des milices chiites en Irak au groupe Hezbollah du Liban, en passant par les Houthis au Yémen. En grande partie grâce à son intervention militaire en Syrie, ces derniers voient en Vladimir Poutine un partenaire stable et fiable qui, contrairement aux Américains, ne laisse pas tomber ses alliés.

Dans un quartier de la capitale irakienne, un gigantesque poster du « tsar » de Moscou portant l’inscription « Nous soutenons la Russie » est resté accroché pendant quelques heures avant qu’une force de sécurité n’arrive et ne l’enlève en toute hâte. Puis est venue la directive sur la sécurité : toute exposition publique de photos de Vladimir Poutine est interdite. Au Liban, la puissante milice du Hezbollah s’est élevée contre la condamnation par le gouvernement de l’attaque de la Russie en Ukraine, appelant à la neutralité.

« Corde raide »

Ces querelles témoignent des profondes divisions suscitées par la guerre en Ukraine, au Moyen-Orient, où Moscou s’est imposée comme un acteur clé ces dernières années. Si les élites politiques, étroitement liées à l’Occident, craignent de s’aliéner la Russie, les États-Unis ou l’Europe, d’autres forces soutiennent plus ou moins directement la Russie dans le conflit ukrainien. Des groupes considérés comme des pions de l’Iran, dans le cadre de l’ « axe de résistance » anti-américain dressé par Téhéran, explique l’agence américaine Associated Press (AP).

Vladimir Poutine a obtenu leur soutien en grande partie en raison de ses liens étroits avec la République islamique et de son intervention militaire dans la guerre civile en Syrie, pour soutenir le président Bachar al-Assad. Dans leurs cercles, renseigne AP, ils ont même un surnom affectueux pour le président russe : Abou Ali, un nom commun chez les musulmans chiites, qui vise à dépeindre une certaine camaraderie. « Pendant ce temps, les gouvernements marchent sur la corde raide », estime l’agence américaine.

« L’Irak est contre la guerre mais ne l’a pas condamnée et n’a pas pris parti », a déclaré l’analyste politique Ihsan Alshamary, qui dirige le Political Thought Think Tank à Bagdad. La raison de ce silence ? Le pays se doit d’observer une certaine neutralité, puisqu’il possède des intérêts communs avec la Russie et l’Occident. Quant aux alliés de l’Iran dans la région, selon lui, ils soutiennent ouvertement la Russie, « parce qu’ils sont anti-Américains et anti-Occidentaux, et croient que Moscou est leur alliée. »

Il est vrai que la Russie a investi jusqu’à 14 milliards de dollars en Irak et dans la région gouvernée par les Kurdes, au nord, principalement dans le secteur de l’énergie, a rappelé l’ambassadeur de Moscou, Elbrus Kutrashev, dans une récente interview à l’agence de presse kurde irakienne Rudaw. Parmi les principales compagnies pétrolières opérant dans le pays figurent les sociétés russes Lukoil, Gazprom Neft et Rosneft.

Provocations américaines

L’Irak entretient également des liens étroits avec les États-Unis, mais les entreprises occidentales ont régulièrement cherché à se retirer du secteur pétrolier irakien. Le geste le plus fort de la part de Bagdad, jusqu’à présent, est intervenu après que sa banque centrale a conseillé au Premier ministre de ne pas signer de nouveaux contrats avec des entreprises ou des paiements russes, compte tenu des sanctions américaines. Cette décision aura un impact sur les nouveaux investissements russes dans le pays, mais guère plus, ont déclaré des responsables de l’industrie russe.

La semaine dernière, l’Irak faisait partie des 35 pays qui se sont abstenus lors d’un vote de l’Assemblée générale des Nations unies visant à demander à la Russie de mettre fin à son offensive et de retirer ses troupes d’Ukraine. Le Liban a voté pour, tandis que la Syrie, où les liens avec la Russie sont profonds, a voté contre. L’Iran s’est également abstenu.

Au Liban, une déclaration brutale du ministère des Affaires étrangères dénonçant l’invasion de l’Ukraine par la Russie a provoqué un tollé et contrarié les Russes, obligeant le ministre à préciser que le Liban n’avait pas l’intention de prendre parti et resterait neutre.

« Ils prennent leurs distances et prétendent à la neutralité où ils veulent, et ils s’ingèrent et condamnent où ils veulent, a écrit sur Twitter Ibrahim Moussawi, membre du Hezbollah, en s’en prenant au ministère des Affaires étrangères. Quelle politique étrangère le Liban suit-il, et quel est l’intérêt du Liban dans tout cela ? Veuillez nous éclairer, monsieur le ministre des Affaires étrangères. »

Le « parti de Dieu », qui a également envoyé des milliers de combattants en Syrie voisine pour renforcer les forces d’Assad, s’est emparé de l’invasion de l’Ukraine par la Russie pour la dépeindre comme le résultat inévitable des provocations américaines et d’une énième trahison des États-Unis envers leurs alliés – dans ce cas, l’Ukraine.

Position idéologique

En Syrie, où la Russie maintient des milliers de troupes, des panneaux proclamant « Victoire pour la Russie » sont apparus dans des quartiers de Damas cette semaine. Dans les zones tenues par l’opposition, toujours frappées par les frappes aériennes russes, les habitants espèrent que la pression sur eux diminuera si la Russie s’enlise dans les combats en Ukraine.

En Irak, la guerre en Ukraine met en évidence les divisions d’un paysage déjà fracturé par l’enlisement des efforts visant à former un nouveau gouvernement, cinq mois après la tenue des élections parlementaires. De nombreux Irakiens voient dans l’invasion de l’Ukraine par la Russie des échos de l’invasion du Koweït voisin par Saddam Hussein et des sanctions économiques imposées par la suite à l’Irak pendant des années. Il y a quelques jours seulement, l’Irak a fini de payer les réparations au Koweït, pour un montant total de plus de 52 milliards de dollars.

Sur Facebook, des pages comptant des millions d’abonnés ont publié des nouvelles des événements en Ukraine, partageant leurs points de vue. « Nos cœurs sont avec les civils, car ceux qui ont goûté à la guerre connaissent ses catastrophes », a posté un utilisateur, Zahra Obaidi. « Nous avons des tentes pour les réfugiés et les personnes déplacées à l’intérieur du pays, vous êtes les bienvenus pour venir les utiliser », a écrit Hafidh Salih.

Toby Dodge, professeur de relations internationales à la London School of Economics, a déclaré que les mesures prises par l’Irak – s’abstenir lors du vote à l’ONU tout en limitant l’activité économique avec la Russie – étaient prudentes et permettaient de gérer les risques à court terme sans prendre de position idéologique. Mais plus la guerre s’éternise, plus il sera difficile de maintenir cette stratégie selon lui.

 

 

Crédits photo : Le président syrien, Bachar al-Assad (gauche), parle au président russe, Vladimir Poutine, lors de leur rencontre à Damas, en Syrie, le 7 janvier 2020 (Alexei Druzhinin, Sputnik, Kremlin Pool Photo).

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