Les Soudanais, l’armée et le président-dictateur

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08.04.2019

Le peuple soudanais, qui appelle depuis 4 mois au départ d’Omar el-Béchir, veut inciter l’armée à appuyer cette revendication.

« Liberté, paix, justice ». Voilà ce qu’ont scandé les Soudanais, dimanche 7 avril, descendus par dizaines de milliers dans les rues de Khartoum, pour réclamer le départ du président Omar el-Béchir, au pouvoir depuis 30 ans. Trois mots qui ont notamment raisonné non loin du ministère de la Défense et de la résidence du chef de l’Etat, où de nombreux manifestants ont dormi ce week-end, comme autant d’injonctions à l’encontre de ce dernier. Sourd, depuis plusieurs mois, au cri du peuple soudanais.

Tweet du directeur du « Monde Afrique », 7 avril 2019

Depuis le début de l’année 2018, celui-ci affronte les mesures d’austérité par vagues, mises en place pour satisfaire le Fonds monétaire international (FMI), qui s’attend à ce que l’économie nationale se contracte fortement cette année. Résultat : une monnaie dévaluée à trois reprises en quelques mois, une inflation galopante, à plus de 70 %, et la fin des subventions à des produits de première nécessité. Comme la farine, par exemple, ce qui avait donné lieu à de nombreuses manifestations en décembre dernier.

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4 mois plus tard, les Soudanais, qui appelaient au « renversement du régime », selon les slogans d’alors, n’ont pas obtenu satisfaction. Et le font savoir. En s’appuyant, cette fois-ci, sur l’armée, à qui ils demandent de « choisir entre son peuple et le dictateur », selon le mot des dirigeants de l’Alliance pour la liberté et le changement, en première ligne dans le mouvement de contestation générale. Alors qu’Omar el-Béchir a décrété, le 22 février dernier, l’état d’urgence à travers tout le pays, pour étouffer les protestations.

« Pari perdant »

Comme bien souvent, aux mots et aux déambulations pacifiques des femmes et des hommes soudanais, les forces de sécurité ont répondu par la violence. Selon l’ONG Human Rights Watch (HRW), le bilan humain s’élèverait pour l’instant à 51 morts (une trentaine selon les autorités), entre autres arrestations et procès crapuleux, sur les 4 derniers mois. Pas de quoi émousser la volonté des manifestants, cependant, bien décidés à occuper la rue « tant qu’il [Omar el-Béchir] ne démissionnera pas ».

Sadek al-Mahdi, l’un des principaux leader de l’opposition, a également enjoint au chef de l’Etat de céder sa place. « J’appelle le président Béchir à démissionner, à dissoudre toutes les institutions constitutionnelles et à former un conseil de 25 membres pour gouverner le pays », a déclaré le dirigeant du parti politique Al-Oumma, membre de l’Alliance pour la liberté et le changement (opposition) et de l’Association des professionnels soudanais, à l’origine des manifestations il y a 4 mois.

Si la requête devrait rester lettre morte, « l’ampleur des manifestations de samedi montre que le pari de Béchir, d’arriver à sauver son régime grâce à la répression, est un pari perdant », a affirmé de son côté Murithi Mutiga, membre de l’International Crisis Group (ICG). Jean-Philippe Rémy, directeur du Monde Afrique, affirmait quant à lui dimanche que « des heurts avec échanges de tirs entre des soldats et des membres des services de renseignement soudanais » avaient eu lieu. L’armée a-t-elle choisi son camp ?

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