Ibrahim Sorel Keita dirige le Collectif pour la Transition en Guinée (CTG). Il milite aujourd’hui pour la libération des prisonniers politiques guinéens.
Le Monde arabe – Environ 400 prisonniers politiques ont été incarcérés par Alpha Condé dans le cadre de leur opposition au troisième mandat. C’est une problématique sur laquelle vous tentez de sensibiliser les autorités et l’opinion françaises depuis plusieurs mois. Avez-vous trouvé, au sein des pouvoirs publics français, des élus, des ministères ou de l’Élysée un intérêt pour la situation des prisonniers politiques en Guinée ? Ne craignez-vous pas que Paris, au nom du maintien de ses intérêts dans le pays, ne mette ce sujet de côté ?
Ibrahim Sorel Keita – Avec les familles, notamment celles de Ibrahima Chérif Bah, vice-président de L’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), incarcéré depuis bientôt huit mois, ou d’Ousmane Gaoual Diallo, responsable de la communication du parti, le Collectif pour la Transition en Guinée a lancé une campagne pour la libération des prisonniers politiques, mais aussi pour l’indemnisation de toutes les victimes de violences de la part du régime. Grâce aux groupes d’amitié France – Guinée de l’Assemblée nationale et du Sénat, nous sommes parvenus à mobiliser les parlementaires français et les autorités gouvernementales.
Le sénateur Jean-Yves Leconte a ainsi interpellé officiellement plusieurs fois le gouvernement dans l’hémicycle. Il le fait aussi de manière plus informelle chaque fois qu’il en a l’occasion. Plusieurs députés se mobilisent de la même façon au Palais Bourbon. Je pense en particulier au député Thomas Rudigoz, vice-président du groupe d’amitié France-Guinée.
Le quai d’Orsay et le gouvernement sont donc parfaitement sensibilisés à la situation qui prévaut en Guinée. Le ministre des Affaires étrangères a d’ailleurs expliqué récemment que la France prenait très à cœur le sort des prisonniers politiques et qu’elle pourrait éventuellement imposer des sanctions en fonction de l’évolution de la situation. J’ajoute que le Collectif pour la Transition en Guinée est en contact avec Franck Paris, le conseiller Afrique d’Emmanuel Macron à l’Élysée, et que j’ai moi-même envoyé plusieurs notes écrites à ce sujet au président de la République.
Ce travail porte ses fruits. Pour preuve, Alpha Condé, dont la présence était d’abord prévue, n’a finalement pas été convié au sommet pour le financement des économies africaines qui s’est tenu à Paris le 19 mai dernier. Nous pensons que ce geste fort de la France est un des effets des actions que nous menons pour alerter l’opinion publique française et internationale sur la dramatique situation des droits de l’homme en Guinée où Alpha Condé a pris tout un peuple en otage en transformant le pays en prison à ciel ouvert. Nous sommes cependant bien conscients que la France doit aussi défendre ses intérêts et qu’elle renvoie des signaux qui peuvent paraître contradictoires. Cela a notamment été le cas quand elle a envoyé son secrétaire d’État aux Affaires étrangères à la cérémonie d’investiture d’Alpha Condé à Conakry.
Le Monde arabe – Que pouvez-vous aujourd’hui nous dire de la situation des prisonniers aujourd’hui, notamment en termes de leurs droits à une défense équitable ou des conditions de détention ?
Ibrahim Sorel Keita – Les prisonniers politiques sont parqués dans la prison centrale de Conakry qui est un véritable mouroir. Je pèse mes mots : quatre d’entre eux sont déjà décédés. Les conditions sanitaires y sont épouvantables et certains souffrent de graves problèmes de santé, accentués par l’épidémie de Covid-19. Il n’y a aucun service médical digne de ce nom dans cette prison prévue pour quelques centaines de détenus et qui en accueille plusieurs milliers. En outre, les prisonniers politiques sont mélangés avec les prisonniers de droit commun, dont certains sont des criminels dangereux. C’est un véritable scandale démocratique.
Le Monde arabe – Un nombre de plus en plus grand d’organisations internationales et régionales et de gouvernements étrangers, notamment le Département d’État américain, appellent Alpha Condé à cesser les violations des droits humains dans le pays. Souhaitez-vous que l’Union européenne prenne contre lui des sanctions individuelles pour le forcer à capituler ?
Ibrahim Sorel Keita – Sous la houlette du groupe d’amitié France-Guinée au Sénat, un colloque a été organisé au mois d’avril au palais du Luxembourg. Plusieurs organisations de défense des droits humains y ont participé, notamment Amnesty International ou la Fédération internationale pour les droits humains. Dans la foulée, 32 parlementaires ont adressé une lettre à Josep Borrell, le Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, pour demander des sanctions ciblées à l’encontre de 25 personnalités guinéennes. Les choses commencent à bouger !
Le régime d’Alpha Condé ne comprend que les rapports de forces, c’est pourquoi nous maintenons la pression pour jeter une lumière crue sur ses dérives. Les dictatures prospèrent quand elles peuvent exercer leurs sévices dans l’ombre. C’est le danger qui guette en Guinée et c’est pourquoi nous ne relâchons pas l’étreinte. Depuis que nous avons médiatisé notre combat, le régime est gêné aux entournures et tente de donner des gages, car sa position est intenable sur le long terme. Récemment une trentaine de prisonniers, sur lesquels ne pesait aucune charge, ont été libérés. Nous finirons par obtenir la libération de tous les prisonniers, mais le combat est encore long. D’autant plus que, hormis quelques magistrats courageux, la justice guinéenne est aux ordres du pouvoir.
Le Monde arabe – Avec l’installation d’un cadre de Dialogue politique et social, Alpha Condé semble vouloir tendre la main à l’opposition et réinstaurer les fondements d’une paix civile dans le pays. Pensez-vous qu’il s’agit d’une posture pour adoucir les critiques internationales ou d’une réelle volonté de dialogue transpartisan ?
Ibrahim Sorel Keita – Oui, le dialogue est essentiel, même avec des adversaires, pour dénouer des situations critiques. Mais pas dans les conditions proposées par Alpha Condé qui prétend en organiser lui-même les modalités. Nous ne sommes pas dupes. On ne peut pas être juge et partie. Pour être sincère et efficace, le dialogue de réconciliation nationale doit être organisé par un collège de personnalités indépendantes, au-dessus de tout soupçon, donc consensuelles. Leurs décisions doivent être souveraines et s’appliquer à tout le monde, y compris au président de la République. C’est un combat pour l’État de droit qui va au-delà des individus. Nos interlocuteurs français et européens nous ont demandé d’établir une liste d’une trentaine de personnalités susceptibles de remplir ce rôle. C’est ce que nous avons fait et nous sommes prêts à mener ce dialogue.
Nous venons d’ailleurs de lancer l’idée d’un grand rassemblement populaire à Conakry, le 19 juin, pour réclamer la libération des prisonniers politiques, l’indemnisation des victimes de violences et la mise en place d’un dialogue de réconciliation nationale sous l’égide d’une autorité indépendante, consensuelle et souveraine. Les demandes d’autorisation ont été soumises au pouvoir. Si Alpha Condé est aussi « démocrate » qu’il le prétend, il autorisera cette manifestation. Une chose est sûre : il finira par céder. La pression politique, médiatique et populaire devient trop forte…

Ibrahim Sorel Keita dirige le Collectif pour la transition en Guinée (CTG), qui s’oppose au troisième mandat d’Alpha Condé. En France, il milite en faveur de la libération des prisonniers politiques retenus en Guinée par le régime d’Alpha Condé. Il est aussi, depuis 2013, vice-président de SOS Racisme et président de la chaîne de télévision de la diversité BDM-TV. Il répond aujourd’hui aux questions du Monde arabe sur le sort des prisonniers politiques guinéens.