La « pénurie » de compétences au Maroc a débouché sur une pénurie hydrique

« Qui rendra des comptes au citoyen ? les élus ? les cabinets de conseil des ministères ? le roi ? ou bien le shadow cabinet ? »

Le Maroc, qualifié depuis toujours de stratégique, a su profiter de ses caractéristiques géographiques favorables pour ancrer cette image ; ses deux façades maritimes, son climat varié, ses grands fleuves et sa proximité avec le vieux continent en représentant les seules frontières terrestres de l’Afrique avec l’Europe. Aujourd’hui on n’accorde plus beaucoup d’importance à ce qu’on a, ce que le ciel nous a offert – toutes les ressources naturelles et les richesses venues du ciel – mais plutôt à ce que nous n’avons pas, ce que nous avons créé et construit par notre expertise et notre savoir-faire à travers la bonne gouvernance des ressources que nous détenons.

De surcroît, les changements climatiques survenus et qui ne cesseront pas de s’acharner, ont remis en question les politiques des Etats en termes de gestion des ressources naturelles. La conséquence directe des ces changements retombe sur les disponibilités hydriques, qui sont soumises à la croissance démographique de la population et l’expansion des activités des différents secteurs de l’économie. Et les pays méditerranéens sont concernés par l’intensification du stress hydrique, le Maroc notamment, qui est plus vulnérable à ces changements du climat.

En effet, le niveau des précipitations au Maroc se caractérisant désormais par l’irrégularité a connu une diminution variant entre 3 et 30 %, accompagnée de vagues de chaleur de plus en plus sévères et étendues. C’est ainsi que les températures moyennes annuelles ont affiché une augmentation de 1.0 °C dès les années 60, qui arriverait jusqu’à 1.5 °C à l’horizon de 2050. Les phases de sécheresse sont devenues de facto plus extrêmes : si le Maroc comptait 5 sécheresses entre 1940 et 1979, entre 1980 et 2002 il est passé à 10 sécheresses enregistrées.

Businessman

La situation des ressources en eau est donc alarmante ; les disponibilités du pays sont actuellement à la barre de 650 m3/h/an, soit en chute de 74 % par rapport à 1960, et devraient baisser encore jusqu’à 500 m3/h/an en 2030, sachant qu’en enregistrant des disponibilités inférieures à 1000 m3/h/an le pays est considéré en situation de pénurie hydrique. Le premier consommateur d’eau au Maroc est le secteur agricole – il utilise 87 % des eaux disponibles mais n’arrive même pas à assurer l’autosuffisance et la sécurité alimentaire du pays – et c’est par conséquent celui-ci qui devrait pâtir des sécheresses à répétition.

Les politiques publiques et stratégies récentes qui ont encadré le fonctionnement du secteur se basaient sur un modèle de production répondant aux normes du marché international tout en négligeant l’agriculture vivrière qui doit combler les besoins des consommateurs locaux.

En 2007, un businessman provenant du secteur des hydrocarbures, ne disposant ni de l’expertise ni d’un minimum de prérequis dans le domaine de l’agriculture, se désigne à la tête du ministère dans lequel il demeurera 14 ans. Un an plus tard, en 2008, il importe une stratégie sectorielle d’un bureau d’études étranger baptisée Plan Maroc Vert pour la mettre en place au nom du roi Mohamed VI. Alors qu’en réalité, cette politique publique qu’il a supervisée pendant 12 années n’est qu’une présentation de slides sur PowerPoint, et si nous admettons qu’il existe vraiment une étude concrète, écrite noire sur blanc, ni les experts du secteur ni le citoyen lambda n’ont eu accès à ce papier.

Au long de cette dernière décennie, et dans le cadre du Plan Maroc Vert, la culture de l’avocat, des agrumes et des tomates a significativement augmenté – ces cultures consommatrices de l’eau sont très demandées sur le marché international. Pas pour leur qualité ou leur goût exceptionnel, mais évidemment pour leur consommation énorme d’eau. La culture de l’avocatier, ou comme on préfère l’appeler l’or vert, est une source de devises pour le Maroc ; en moins de dix années seulement, il est devenu une figure du commerce international de l’or vert, passant d’une production de moins de 2 000 tonnes en 2010 à 30 000 tonnes en 2019, pour se positionner comme 3e exportateur en Afrique après le Kenya et l’Afrique du Sud.

Ces cultures s’étalent sur une superficie de plus de 7 000 ha environ, produisant plus de 40 000 tonnes d’avocat chaque année, une production qui devrait se doubler pour atteindre respectivement, 80 000 et 100 000 tonnes/an. Dans un contexte de rareté des ressources en eau et d’intensification des changements climatique, la culture de l’avocatier n’est pas stratégique, et on peut même dire qu’elle reflète l’incompétence des entités gouvernantes et la « stupidité » qui caractérise leurs actions.

La production des avocats nécessite énormément d’eau, du fait que leurs arbres exigent une irrigation deux fois par jour d’une durée entre une demi-heure et une heure par hectare, et ce en fonction de la nature et la composition du sol. C’est pour cette raison que la demande de l’avocat sur le marché international est élevée, notamment de la part des Etats qui gouvernent avec sagesse et évitent ces cultures destructives des ressources hydrauliques, exportant alors leur stress hydrique vers les pays où ce genre de cultures trouve le climat propice, dans lesquels les exportations sont faibles et n’arrivent pas à absorber le déficit commercial.

Polémique

Sans tenir compte des signaux d’alarmes provenant des institutions expertes locales et étrangères alertant sur la pénurie d’eau au Maroc, ce dernier a accordé, en 2021, à la société israélienne Mehadrin, le droit de cultiver l’avocatier sur ses terres ; elle s’est d’ailleurs alliée à une société marocaine dont l’identité n’a pas été dévoilée. La principale raison derrière cette expansion de l’activité de Mehdarin au Maroc, comme l’a indiqué son PDG, est la contrainte de l’eau et la charge de la main-d’œuvre qui est minimale au Maroc.

La région Rabat-Salé-Kénitra est la première productrice de l’avocat au Maroc, avec une superficie cultivée de plus de 5 840 ha, étant donné que son climat est propice à cette culture, ses ressources en eau largement suffisantes et sa production annuelle de l’eau potable dont elle est pionnière au niveau nationale (280 027 m3 en 2017). Les professionnels ont conçu la culture de l’avocat dans cette région sous prétexte qu’elle ne pose pas un problème de l’eau, et que la mobilisation de cette ressource pour produire l’avocat destiné à l’export permettra à l’Etat de générer des ressources en devises.

D’un autre côté, et dans le cadre toujours de la mauvaise gouvernance marocaine des ressources hydrauliques, l’envie royale pour une capitale des lumières, verte, fascinante et séductrice, qui camouflera notamment les misères du Maroc profond, a pesé, à la fois, sur les ressources financière et naturelles – l’eau – de la région. La gare routière de la ligne LGV, le pont Mohamed VI – le plus grand d’Afrique -, la tour Mohamed VI toujours en cours de son construction, le grand théâtre de Rabat, les espaces étendus sur des hectares, verts toute l’année, arrosé en eau potable et qui ont amené la facture de l’eau de la commune de Rabat de 12 MDh en 2015 à 40 MDh en 2019.

Cette question de l’irrigation en eau potable a créé la polémique, voilà 6 ans, comme l’a indiqué Omar El Hayani, élu de la Fédération de Gauche Démocratique au conseil de la ville de Rabat, sur sa page Facebook. La FGD milite pour mettre un terme à l’utilisation de l’eau potable et de l’eau souterraine pour l’arrosage des espaces vertes de la capitale, alors que le conseil n’a pas pris en compte ces plaidoiries. Fin juillet, le Wali de la région a pris la décision d’interdire l’arrosage à l’eau potable, en raison de la baisse du taux de remplissage du barrage Sidi Mohamed Ben Abdellah jusqu’à 32 %, qui alimente la ligne allant du nord de Casablanca à Kénitra.

Notons qu’en 2020, on a mobilisé un budget de 210 MDh pour construire une station de recyclage des eaux usées pour l’arrosage des terrains de golf Dar Essalam et des autres parcelles du gazon, mais qui n’a compris que 60 % de ces espaces, un chiffre qu’il est impossible à vérifier d’après le conseiller communal de la FGD. Les directives mobilisées par l’Etat cette année pour rationaliser l’utilisation de l’eau, et pour sensibiliser ainsi les citoyens par le biais des campagnes médiatiques lancées partout, renforcent le caractère aléatoire des politiques publiques marocaines, et l’incompétence des décideurs. Qui est le responsable in fine ? Qui rendra des comptes au citoyen ? les élus ? les cabinets de conseil des ministères ? le Roi ? ou bien le shadow cabinet ?

 

Crédits photo : golfmaroc.comlebrief.ma, CNN Arabic/collage de l’auteure.

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