Dans la société syrienne, encore très traditionnelle, la femme violée devient une honte pour la famille.
« C’est le crime le plus tu, perpétré actuellement en Syrie. Un crime massif, organisé par le régime et réalisé dans les conditions les plus barbares. Un crime fondé sur l’un des tabous les mieux ancrés dans la société traditionnelle syrienne et sur le silence des victimes, convaincues de risquer le rejet par leur propre famille, voire une condamnation à mort. » Le crime dont parlait en 2014 Annick Cojean, journaliste au Monde, c’est le viol, « qui anéantit les femmes, détruit les familles et disloque les communautés » dans un pays où la guerre, depuis 2011, a déjà fait plus de 460 000 morts et des centaines de milliers de déplacés.
Il y a trois ans, ces agissements étaient donc connus. L’ancien président du Conseil national syrien et membre de l’opposition, Burhan Ghalioun, affirmait même au quotidien français que, dès le printemps 2011, des campagnes de viols par les milices ont été organisées à l’intérieur des maisons alors que s’y trouvaient les familles. Sauf que « les enquêteurs de l’ONU et toutes les ONG [peinaient] à documenter tant le sujet est douloureux » selon Annick Cojean. Résultat : le viol est absent des nombreuses discussions de Genève autour du conflit syrien. Alors qu’il est « l’arme de guerre secrète de Bachar al-Assad » selon elle.
« Punie par le régime et la société »
Ce qui manque aux (pourtant) nombreux rapports des organisations internationales sur le sujet ? Des témoignages. C’est ce que Manon Loizeau, journaliste et réalisatrice de nombreux documentaires, est allée chercher. « On a tourné aux frontières syriennes. La plupart des femmes sont des réfugiées, elles ont fui la guerre » indique-t-elle dans l’émission C l’hebdo du samedi 2 décembre. « Quand on a contacté les ONG et l’ONU, tous nous ont dit qu’ils avaient énormément de mal à faire des rapports parce que les femmes avaient trop peur. Elles sont dans la solitude absolue, sans aucune aide psychologique. »
En deuxième partie de soirée, mardi prochain, France 2 diffusera Syrie, le cri étouffé, un documentaire réalisé par Manon Loizeau et co-écrit avec Annick Cojean et Souad Weidi, une universitaire libyenne très impliquée sur cette question. Où l’on voit, notamment, cette femme qui témoigne, de dos : « Tout citoyen libre ou engagé dans la révolution a eu une des femmes de sa famille envoyée en détention. Le message est : ‘‘Soit tu te rends, soit on garde ta femme ou ta fille cher nous.‘‘ » Le viol, dit-elle, le régime l’a utilisé pour briser l’homme syrien. Et la femme avant tout. « L’injustice, pour la femme, c’est d’être punie par le régime et par la société » explique une autre Syrienne, dont le visage est enfoui dans l’ombre.
« Double peine »
« Le viol est l’arme parfaite en Syrie : une femme qui a été violée est rejetée par sa famille. Ces femmes sont coincées entre un régime qui les torture et les viole et quand elles sortent de prison elles sont rejetées » affirme Manon Loizeau. Pour elle, les hommes qui se rendent coupables de viol « savent exactement comment jouer sur les interdits et les tabous. C’est une arme qui détruit la société syrienne. Il y a des viols d’hommes aussi, en prison, et ça c’est un tabou absolu. Quand ils sortent, ils sont accueillis en héros. C’est la double peine pour les femmes. »
La journaliste espère que le documentaire et, surtout, la libération de la parole de la femme en Syrie changeront la donne et braqueront pour de bon les projecteurs sur les viols perpétrés par le régime de Bachar al-Assad. Une pétition, éventuellement, pourrait voir le jour. Sur change.org, il y en a déjà une, par exemple, qui appelle le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, à diligenter une enquête indépendante des Nations unies en Syrie. Pour des cas avérés de viol. Sur mineurs.

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