Bruno Fuchs : « Louise Mushikiwabo redonne à l’Organisation internationale de la francophonie toute sa légitimité et son autorité »

« Pour l’Afrique et pour la France, une OIF qui retrouve son autorité est une très bonne nouvelle. »

Député du Haut-Rhin, Bruno Fuchs est aussi vice-président de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie. Pour Le Monde arabe, il livre son point de vue sur la francophonie, ses capacités d’action et le bilan de sa Secrétaire générale, la Rwandaise Louise Mushikiwabo.

Quel bilan, depuis le début de votre mandat, tirez-vous de l’action de la Secrétaire générale de la Francophonie, Louise Mushikiwabo ?

J’y suis depuis un an et je peux dire que je suis impressionné par ses capacités. Louise Mushikiwabo est en train de transformer en profondeur les modes d’organisation de l’OIF. Elle est exemplaire et rend à la francophonie ses lettres de noblesse. Ce qui est un travail de longue haleine car, comme dans toutes les organisations internationales, les habitudes sont lourdes.

Ses actions se concentrent sur deux grands leviers. D’abord, le respect des valeurs de la francophonie et, en premier lieu, le respect des droits humains dans beaucoup de pays où on joue encore trop souvent avec les constitutions et les libertés publiques en totale contradiction avec les engagements pris par les Etats en signant leur adhésion à l’OIF mais aussi l’article 9 des accords de Cotonou.

Ensuite, réussir à faire prospérer la francophonie des citoyens, afin de nous permettre de sortir de cette image de « petite ONU » pour tendre vers l’appropriation de la francophonie par les peuples. Pour cela, nous pouvons compter sur la richesse culturelle de tous les peuples qui composent notre organisation, avec comme moyens d’expression le sport, la culture, la danse, mais aussi le développement des échanges commerciaux et universitaires.

L’espace francophone connaît une multiplicité de crises de tout type. Nous pouvons citer les crises politiques, comme en Guinée où se joue la succession d’Alpha Condé, ou encore les crises sécuritaires comme dans la zone sahélienne avec la multiplication des attentats perpétrés par les mouvements terroristes. Quel rôle peut jouer la Francophonie pour tenter, à sa manière, d’y répondre ?

Sur les questions sécuritaires, nous avons un rôle secondaire, car les interventions se font souvent dans un cadre militarisé, dans lequel nous ne pouvons avoir qu’un rôle auxiliaire. Mais dans les grandes crises politiques, il appartient à l’OIF de jouer un rôle majeur. D’autant plus que la France est souvent critiquée par les populations locales quand elle intervient pour tenter de répondre à une crise sécuritaire, accusée d’ingérence, alors même que les gouvernements en place dans ces pays réclament son intervention.

Une OIF retrouvée, forte et combative peut se révéler un outil de règlement efficace d’un certain nombre de conflits. En Guinée, par exemple, la Secrétaire générale a été exemplaire. Elle a envoyé un émissaire, a rencontré Alpha Condé, a mis tout son poids pour que l’on évite un troisième mandat d’Alpha Condé, pour garantir le respect de la constitution et le déroulement des élections à venir dans une éthique, sinon irréprochable, au moins acceptable. À l’heure actuelle, Alpha Condé a annoncé le report des élections législatives et du référendum prévu. C’est une vraie avancée pour laquelle on doit lui rendre hommage. Ensuite la CEDAO et l’Union africaine sont intervenues dans sont sillage mais l’action initiale vient bel et bien de l’OIF et de l’action de sa Secrétaire générale.

Pour l’Afrique et pour la France, une OIF qui retrouve son autorité, sa légitimité et donc une grande influence est une très bonne nouvelle.

Avec notamment le Maroc, l’Égypte ou encore la Tunisie, ce qu’on appelle communément le monde arabe est très bien représenté au sein de la Francophonie. Quelle sera la place de ces pays dans la Francophonie de demain ?

Ce sont des pays qui ont une place historique et qui sont appelés à avoir une place grandissante dans la francophonie. Il ne faudrait pas oublier l’Algérie qui, si elle n’est pas membre de l’OIF, est l’un des premiers pays francophones du monde. Alors certes, les conditions ne sont pas encore réunies notamment à cause de la situation du Sahara occidental, mais l’objectif de la francophonie reste de réunir l’ensemble de sa famille.

Nous voyons à travers tout le travail diplomatique et géopolitique du Maroc que les relations ne sont pas uniquement verticales et bilatérales entre la France et le reste des pays. Le Maroc, qui mène une diplomatie active et tisse des liens précieux avec les pays d’Afrique centrale et d’Afrique de l’ouest, en est la preuve. La francophonie rapproche chacun de ses membres.

Vous aspirez à développer l’usage du français dans le monde. La France a-t-elle encore les moyens de promouvoir sa culture linguistique à l’étranger, à l’heure de la concurrence avec le chinois et, évidemment, l’anglais ?

Nous touchons là une problématique éminemment complexe, car elle joue sur de nombreux leviers. Nous avons la chance de bénéficier d’un réseau dense et d’un maillage fin dans la plupart des pays de l’OIF avec les alliances françaises et les instituts français. Nous formons entre 2 000 et 10 000 personnes par an dans chacun de ces pays à la pratique du français. Ce chiffre, quoiqu’important, demeure très réduit à l’échelle de la croissance démographique du continent.

Alors, à nous d’actionner d’autres leviers. Nous devons, par exemple, être présents dans les médias et créer des partenariats en matière de business, qui demeure un facteur puissant de mobilité. Nous avons par exemple lancé le groupement du patronat francophone. Un autre angle envisagé est la création d’un Erasmus dédié aux pays de la francophonie. Là encore, l’approche partenariale avec la création de liens très étroits entre les différents ministères de l’Éducation peut sembler pertinente.

N’oublions pas non plus l’intelligence artificielle qui, demain, pourrait bien devenir un levier d’action très précieux. Je parle ici d’outils qui nous permettront d’offrir la possibilité de traduction en direct ou d’apprentissage des langues à travers des tuteurs qui seront capables de former, non plus 5 000 ou 10 000 personnes, mais des millions d’individus.

En termes de chiffres, nous avons aujourd’hui moins de 300 millions de personnes qui parlent le français dans le monde. En 2050, au vu de l’impressionnante croissance démographique dans les pays francophones, en Afrique surtout, ils seront 700 ou 800 millions. C’est un enjeu auquel doit répondre, non seulement la France, mais l’ensemble des pays de l’OIF.

Vous êtes vice-président de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie. Pouvez-vous nous rappeler votre rôle et, plus généralement, celui de cette Assemblée au sein de l’Organisation internationale de la francophonie ?

Nous avons la particularité d’être composés de parlementaires émanant de chacune des assemblées des États membres de l’OIF. Nous sommes une assemblée consultative.

Nous avons essentiellement un rôle de recommandations, avec une capacité à intervenir sur tous les grands sujets de société qui traversent les pays de l’OIF, comme la place des femmes, le VIH SIDA, la bonne gouvernance, les libertés publiques ou encore le respect des constitutions des différents pays. Nous nous sommes par exemple récemment saisis des situations du Bénin, du Gabon, de la Guinée ou encore de la Côte d’Ivoire. Nous sommes présents partout où des contextes menaçants peuvent nous amener à agir.

Notre mode d’action privilégié est l’envoi de missions destinées à auditionner, expertiser et constater l’état des libertés publiques dans certains pays membres afin d’émettre, à terme, des recommandations précises.

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