La doctrine politique d’Emmanuel Macron à l’assaut du Moyen-Orient

Le prince héritier saoudien est en visite à Paris jusqu’à mardi, où il essaiera de tisser des liens avec le chef de l’Etat français.

La France et l’Arabie saoudite ne s’entendent plus. Du moins, plus tout à fait. Non pas que les deux nations se fassent ouvertement la guerre, mais la géopolitique en a décidé ainsi. Sous le mandat de François Hollande, Paris était proche de Riyad car Barack Obama, alors président américain, l’était de Téhéran, la capitale de l’Iran – ennemi juré des Saoudiens au Moyen-Orient. Avec l’arrivée d’un Donald Trump au tropisme saoudien très prononcé – et, à l’inverse, qui ne cesse de dénigrer la République islamique -, la France a dû revoir sa copie. Notamment parce qu’il y avait l’accord sur le nucléaire iranien à sauver.

Abus en matière de droits humains

Sauf que le rapprochement entre Paris et Téhéran n’a pas plu aux Saoudiens. La preuve : si les entreprises françaises ont pu signer de très juteux contrats avec l’Arabie saoudite avant 2017, il n’en est plus rien aujourd’hui – quant aux promesses de partenariats, faisant miroiter là aussi des mille et des cents aux groupes tricolores, la plupart sont restées lettres mortes. La raison pour laquelle Emmanuel Macron souhaite désormais une coopération « moins axée sur des contrats ponctuels et davantage sur des investissements d’avenir, notamment dans le numérique et les énergies renouvelables ». Le tourisme également.

Les deux dirigeants devraient effectivement signer, mardi – dernier jour de la visite du prince héritier -, un accord intergouvernemental qui prévoit d’associer la France au développement d’Al-Ula, vaste cité antique de 52 hectares, au nord de l’Arabie saoudite. Une agence française, financée par des fonds saoudiens, devrait être créée afin d’apporter son expertise sur le projet archéologique, mais également sur la conception de deux musées, la préservation du patrimoine naturel, le développement durable et, enfin, la formation de professionnels du tourisme. Coût du projet : entre 50 et 100 milliards de dollars.

Celui-ci fait partie intégrante de la « Vision 2030 » de MBS, un gigantesque plan de réformes économiques et sociales, censé sortir l’Arabie saoudite du « tout pétrole » – la chute des cours du baril de brut a creusé le déficit et la dette publics du royaume – et de son statut de « pays non fréquentable ». Ainsi le prince héritier a-t-il autorisé, l’an dernier, les Saoudiennes – dont la condition est toujours précaire – à conduire ou, récemment, à intégrer l’armée, ainsi que les salles de cinéma à réouvrir, entre autres. Des avancées louables, certes, qui auront pourtant du mal à faire oublier les nombreux abus en matière de droits humains.

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Lois peu subtiles de la géopolitique

Pourtant, à Paris, « le président Macron pourrait être tenté de dérouler le tapis rouge pour MBS […] et pas seulement parce que le prince héritier saoudien débarque muni de son chéquier, avec de possibles juteux contrats à la clé » estime Philippe Bolopion, directeur du plaidoyer chez Human Rights Watch (HCR), dans Libération. Selon lui, « Emmanuel Macron pourrait aisément se reconnaitre dans le jeune prince saoudien, qui comme lui a bousculé la vieille garde et s’est propulsé au sommet en promettant de réformer son pays en profondeur. » Sauf que « là s’arrête la comparaison » tranche-t-il.

Car, faut-il le rappeler, MBS est tout de même à l’origine de l’entrée en guerre, au Yémen voisin, de l’Arabie saoudite, accusée de nombreuses violations des droits humains et autres crimes de guerre – la France, d’ailleurs, pourrait être sous le coup d’une enquête en raison de ses ventes d’armes… à Riyad. Et en juin 2017, pour punir le Qatar de s’être rapproché de l’Iran, le prince héritier a décidé d’ériger un embargo autour du petit émirat. Qui n’a pas porté ses fruits – bien au contraire. Deux actions dictées par la volonté implacable – et irrationnelle ? – du futur monarque saoudien de museler la République islamique. Coûte que coûte.

Sa visite en France, qui a également pour but, d’un point de vue plus personnel, de tisser des liens avec Emmanuel Macron, pourrait d’ailleurs compliquer la venue de celui-ci en Iran. Un voyage envisagé depuis plusieurs mois, mais qui tarde à se matérialiser – malgré, par exemple, le récent déplacement du ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian. Car Téhéran se méfie du louvoiement de Paris, qui travaille pour le maintien de l’accord sur le nucléaire iranien « et en même temps » pour sauver les meubles avec Riyad. Si les lois peu subtiles de la géopolitique sont respectées, les Iraniens devraient prendre ombrage d’une visite trop successful du prince héritier à Paris.

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