Le pouvoir se prive de la créativité des autres quand le leadership fonde son autorité sur un travail de synthèse.
Dans un article précédent, intitulé « En Algérie, un mouvement de révolte sans leadership est-il possible ? », nous revenions sur l’idée reçue selon laquelle le « leader » incarne à lui seul le « leadership », alors que ce dernier concept comporte deux autres variables. A savoir : les « followers » et la « situation ».
Autre idée reçue sur laquelle nous souhaitons à présent revenir, afin de débrouiller les esprits : « le leadership est le pouvoir et le pouvoir est le leadership ». Nous tenterons ainsi de répondre à la question suivante : quelle est la relation entre pouvoir, exercice du leadership et autorité ?
Influence
Entre le pouvoir et le leadership, qui sont les deux concepts que nous approfondirons dans cet article, il semble que le dénominateur commun soit celui de l’influence. La pratique du pouvoir et celle du leadership implique l’exercice d’une certaine forme d’influence sur les followers. Le leadership n’est pas une qualité personnelle, il s’agit d’un processus interpersonnel, soit un système ordonné et finalisé par un objectif ; c’est donc un processus qui se déploie dans la relation leader-followers dans un contexte précis.
Cela étant, ce processus est de nature particulière, puisqu’il s’agit de l’influence individuelle – ou capacité à obtenir quelque chose de quelqu’un sans recourir à la coercition. Elle constitue donc cet « effet sur » – sur l’autre, sur les autres, sur les décisions, etc. – produit dans les deux cas : celui de la relation de pouvoir et celui de l’exercice du leadership. Seuls les moyens de l’influence, ses raisons et ses effets varient dans les deux cas.
Pouvoir
Le pouvoir est la capacité d’imposer sa volonté, de forcer l’obéissance ou de faire prévaloir son opinion au sein d’une organisation. Tout le monde pense l’avoir expérimenté dans sa chair ou dans sa maîtrise. En réalité, chacun en a une définition distincte. Pour certains, c’est l’usage de la force, mal acceptée voire brutale. Pour d’autres, c’est une chose parfaitement légitime, neutre et nécessaire, qui permet le fonctionnement cohérent des sociétés.
Le pouvoir, aimé ou méprisé, existe. Il permet la réalisation de grandes choses, positives ou non. Tout comme il peut être légitime ou non. Il peut être utilisé sagement ou de façon abusive. Ces différentes dimensions rendent la notion complexe. Et notre jugement sur le pouvoir est souvent obscurci par les émotions générées par le fait de subir le pouvoir. Ou par celles d’en jouir. Si l’on se centre sur le pouvoir, et non sur ses abus, le concept peut sans doute être défini comme un état de droit ou de fait, qui offre la force d’imposer son point de vue. Si le pouvoir est légitime et utilisé de façon non abusive, le ressenti sera faible ou nul. Si le pouvoir est non légitime mais utilisé à bon escient, il peut en être de même. Ou pas.
Leadership et autorité
Selon Max Weber, pour que le pouvoir et l’autorité soient acceptés, ils doivent jouir d’une légitimité qui peut être « traditionnelle » (l’héritier), « charismatique » (le chef) ou « légalo-rationelle » (autorité et pouvoir de la fonction, l’occupation de celle-ci reposant idéalement sur la compétence).
Le leadership est plus une question d’autorité que de pouvoir. Si être leader confère de l’autorité, le leader ne recherche pas pour autant le pouvoir. Celui qui a le leadership aime le pouvoir mais n’occupe pas son poste pour cette raison. Il faut ici réfléchir à ce qui est explicite et ce qui est implicite. Car in fine, les concepts de pouvoir et de leadership sont très distincts, voire opposés. Nous pouvons citer au moins trois différences entre les deux.
Pouvoir et leadership
Premièrement, le pouvoir est une force qui va du haut de la hiérarchie vers le bas (« top down »). Du « fort » vers le « faible ». À l’inverse, le leadership est une force qui va du bas de la hiérarchie vers le haut. On est « fait » ou « reconnu » leader par son groupe.
Deuxièmement, le pouvoir tend à « diviser pour mieux régner», comme dit l’adage. Si diviser équivaut à organiser et répartir les tâches, pourquoi pas ? Si diviser permet en revanche de limiter tout contre-pouvoir, alors s’ouvre la porte de l’arbitraire, de l’abus de pouvoir, de la violence au visage légitime. À l’inverse, le leadership, fondé sur l’adhésion, tend à « unifier pour mieux régner ». Il rassemble au lieu de diviser et n’a pas peur de voir le groupe soudé, car cette réunion est le symbole de l’adhésion de tous à un objectif, à des valeurs afférentes, à un projet que les forces combinées d’une équipe permettent d’atteindre.
Troisièmement, le pouvoir donne des ordres et des instructions. Il ne prend pas le temps de l’écoute, se prive partiellement de la créativité des autres, sauf pour exécuter. À l’inverse, le leadership consulte, écoute et fonde son autorité sur ce travail de synthèse. S’il donne des axes de travail ou des directives, la liberté laissée aux uns et aux autres leur permet d’exprimer créativité, identité propre et crée des apports personnels forts. Implicitement s’exprime un respect de la valeur ajoutée de chacun, qui renforce l’adhésion, le sentiment d’appartenance à un groupe. Une équipe paradoxalement variée mais unie.
Lire aussi : En Algérie, un mouvement de révolte sans leadership est-il possible ?

Mounira Elbouti est doctorante et enseigante à l’IMT Business School. Elle s’intéresse à l’analyse de l’évolution des sociétés maghrébines post-« printemps arabe » et s’est spécialisée dans les questions de genre, de leadership et de transformation digitale. Elle a déjà collaboré avec le HuffingtonPost Maghreb, Le Mondafrique, Tunis Hebdo et Liberté Algérie.