« Pour mettre fin aux souffrances au Yémen, la France doit impérativement cesser d’alimenter le conflit en armes », estiment 17 ONG.
Les armes françaises au Yémen continuent d’alimenter la polémique. Paris, tout comme, d’ailleurs, Londres et Washington, est apparue dans un rapport des Nations unies (ONU) publié le 3 septembre dernier, à propos de la « multitude de crimes de guerre » commis au cours de ce conflit, qui dure depuis septembre 2014.
« Mépris absolu »
Deux jours plus tôt, plus de 100 personnes ont été tuées dans une série de frappes aériennes de la coalition menée par l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis (EAU), sur un établissement universitaire utilisé à des fins de détention à Dhamar, en zone contrôlée par les rebelles Houthis (chiites).
Le rapport de l’ONU, rédigé par le Groupe d’experts sur le Yémen créé en 2017 par le Conseil des droits de l’Homme des Nations unies, met en lumière de nombreux cas de raids aériens visant des civils. Mais également d’utilisation d’autres armes explosives en zones peuplées, de recours à la torture, voire de violences sexuelles, d’entraves à l’accès humanitaire et d’utilisation de la faim comme arme de guerre.
Le 5 septembre, une vaste coalition de 17 ONG humanitaires et de défense des droits humains a réitéré son appel à l’arrêt immédiat des ventes d’armes françaises à l’Arabie saoudite et aux EAU, après le raid aérien de Dhamar. « Cette attaque, l’une des plus meurtrières depuis le début du conflit, illustre le mépris absolu de l’ensemble des parties vis-à-vis des règles qui régissent les conflits, ont indiqué dans leur communiqué les organisations, dont font partie, entre autres, ACAT, Oxfam France, CARE France et SumOfUs. Les frappes de la coalition ont visé des prisonniers en violation des conventions de Genève et du droit international humanitaire », selon elles.
« Légalité des transferts d’armes »
Si le Groupe d’experts de l’ONU pointe surtout du doigt les parties directement impliquées dans le conflit au Yémen, à savoir « les gouvernements du Yémen [en exil dans le royaume saoudien, ndlr], des Emirats arabes unis et d’Arabie saoudite », engagés depuis mars 2015 dans une vaste (et meurtrière) opération militaire, il invoque également la responsabilité de la communauté internationale – Paris, Londres et Washington en particulier.
La France se voit ainsi mentionnée à deux reprises dans le rapport. D’abord en tant qu’ « Etat tiers [qui] influence ou peut apporter un soutien aux parties dans ce conflit ». Puis en tant que « soutien logistique » à cause de son « transfert d’armes » à Riyad et Abou Dhabi. « Les Etats peuvent être tenus responsables de l’aide ou de l’assistance qu’ils fournissent pour la commission de violations du droit international si les conditions de complicité sont remplies », rappelle à juste titre le Groupe d’experts.
« En écho aux alertes lancées depuis des années par les ONG, les experts rappellent qu’il existe un débat sur la légalité des transferts d’armes françaises, britanniques et américaines et citent les contentieux en cours », font savoir les ONG dans leur communiqué. Au Royaume-Uni, le gouvernement a par exemple dû limiter ses ventes d’armes après que la cour d’appel de Londres a jugé illégal, en juin dernier, le processus d’octroi de licences d’exportations. « En France, rappellent-elle, une procédure visant à suspendre les licences d’exportations d’armes est toujours en cours devant les juridictions administratives. »
« Souffrances du peuple yéménite »
Le sujet des ventes d’armes, qui appartient au domaine dit « réservé » du président de la République, échappe à tout contrôle parlementaire ; un « déficit démocratique », selon certaines voix, de plus en plus critiqué toutefois. En plus des ONG, qui font corps contre ce « système » d’Etat verrouillé, quelques députés n’hésitent pas à remettre en cause le « commerce de la mort » de Paris. Comme Sébastien Nadot (Haute-Garonne, LREM), qui appelle depuis plus d’un an à la formation d’une commission parlementaire sur les exportations d’armements françaises. Afin de mettre la France face à ses « responsabilités ».
En attendant, les experts de l’ONU concluent leur rapport en demandant à tous les Etats de s’abstenir de fournir des armes qui pourraient se voir utilisées dans le conflit au Yémen. Mais que peuvent les instances internationales face aux contrats mirobolants des ventes d’armes – Ryiad a versé plus de 11 milliards d’euros dans les caisses de l’Etat français entre 2008 et 2017 -, véritables régisseurs des relations internationales ?
« Pour être crédible dans ses efforts pour mettre fin aux souffrances du peuple yéménite, la France doit impérativement lever tout soupçon de complicité de crimes de guerre et cesser d’alimenter le conflit en armes », ponctuent les ONG. Pas sûr que leur appel soit parvenu aux oreilles du gouvernement français…
